par Jean-Luc Bayard
Comment être sûr, lisant, que c’est bien le livre qui est ouvert entre nos mains, tel qu’il est écrit, que nous lisons ? Et pas celui que nous croyons lire ? Qui n’est pas celui-ci mais un autre, que nous croyons comprendre mais que nous avons pris, seulement – ou si c’était lui, plutôt, qui nous prenait ? – mais nous n’y sommes pas du tout, ou pas encore.
Alors : livre ou l’autre ? Demandons-nous, par exemple : Mère ou l’autre est-il un poème sur l’adoption ?
on nous a prévenus il y a deux jours
que nous devions venir chercher notre enfant
“notre enfant” ?
Le direct des questions ne trompe pas. Pourtant, le départ de toute venue au monde, la naissance de toute naissance, n’est-ce pas une expulsion ?
Sa première chambre, « le ventre où il a reçu des cellules de peau de nerfs et d’os » est chambre « d’où il a été chassé ».
Pourrait-on, alors, oublier son autre vie, son existence antérieure et intérieure ?
je me souviens de lui à 9 mois le premier jour.
Alors ? Un livre pour toute naissance ? Un livre, cela est sûr, qui fait entrer le poème sur la scène, pour disputer au roman et au théâtre l’autorité sur le dire de naissance. Pour en tenir à la fois le récit et les personnages (Œdipe et Clytemnestre qui courent dans les bois).
Car c’est affaire de langue, de venue au langage, de naissance par et avec les mots. Et si nous n’avions que les mots pour nous tenir ?
Alors ? Un livre sur la parole, sur naître auquel la parole convie. L’enfant d’un livre, plutôt, la fiction pure qui en efface la réalité, pour mieux en dire le réel ?
et peut-il être père celui qui passe en enterrant sa voix ?