par Jean-Luc Bayard
Le dernier livre de Jean Ristat est un ouvrage fragmentaire, aérien et solide à la fois. Les morceaux dansent comme des cendres au-dessus du feu, s’agrègent comme lames d’un cristal. Le miroir en miettes est saisi par le gel. Qui apparaît ? Nul qui soit, avec certitude, reconnaissable. « Lorsque j’écris, je n’ai pas de visage. » Personne alors ? Ou peut-être n’importe qui… Lui, parmi d’autres : Byron et Aragon, Ducasse et Rimbaud, Descartes et Lewis Caroll, et peut-être vous et moi.
Mais faites attention, « je n’ai plus de lieu où me poser », ce n’est pas un miroir seulement, il ouvre sur le vide comme une porte-fenêtre. Car c’est un livre à deux volets. Tournons les calmement, à rebours si vous voulez bien.
La seconde partie rassemble les « Conversations dans un salon d’amour », échelonnées entre le 31 août 2002 et le 10 février 2015, et adressées « à l’inconnu » ou « au même », c’est-à-dire finalement, le dernier message est clair, « au lecteur inconnu », vous et moi je vous avais prévenu. « J’imagine votre surprise lorsque cette lettre vous parviendra, si du moins le hasard nous est favorable. »
La première partie est double. Les « Séances » s’achèvent un 28 août, mardi 28 août [2001]. Elles sont précédées par les « Lettres retrouvées » qui précisent les circonstances :
– « À Toulon, au Cap Brun, le 28 du mois d’août 1977, l’idée me vint d’écrire mes Œuvres posthumes, tome II, dont le titre, d’un seul tenant, doit se lire sur une simple ligne. C’était la fin de l’été. » (p. 30)
– La toute première de ces lettres, datée du 5 avril 1978, prend soin de préciser : « (…) l’exercice de ce que j’appelle, faute d’un autre mot, littérature, ne peut se justifier que par l’urgence qui le commande. C’est une affaire de vie ou de mort. Aussi comprendrez-vous que je sois resté silencieux pendant plus d’une année. » (p. 14)
Quels étaient les derniers mots, une année plus tôt ? N’étaient-ils pas ceux de Lord B, le « roman par lettres avec conversations » ? Qui était aussi, n’est-ce pas, le « roman de la lettre (de A à Z) », qu’il fallait, déjà, accepter de « lire à l’envers », pour « dénouer, maille après maille, le tricot de l’alphabet et déposséder l’auteur de sa signature ».
Lorsque Jean Ristat nous répète, ici, aujourd’hui, « j’écris à reculons », on peut le croire. Mais où nous conduit l’expérience du rebours ? Vers le visage et vers le lieu. Les sept lettres du nom du lieu, Sologne, rapprochent commencement et fin :
– « la salle de classe d’une école primaire d’un village de Sologne » (p. 32)
– « la solitude du tombeau, sous les acacias et les bouleaux d’une prairie de Sologne » (p. 120)
« J’avance en revenant toujours sur mes pas », dit-il encore, le chemin conduit alors vers le premier mot, « Maintenant », et vers ceux, terribles, qui le suivent : « Maintenant qu’il est parti. » Qui ? L’enfant ? Le père ? Le compagnon ? L’amour... D’un point à un autre de la même Sologne le fil est un écrit sur l’abîme. Il est parti et c’est vous, maintenant, qu’on attend. Lisez Jean Ristat, tous ses livres, il est temps. Commencez par là, vous les trouverez tous.
Je ne sais si vous m’avez bien entendu. Vous me trouvez incohérent, bizarre. J’aurais perdu la raison à vouloir me travestir en petite fille. Je m’appelle Alice, dites-vous. J’ai accroché mon nom au portemanteau. Je ressemble à une vieille sorcière qui brûle ses vêtements avant d’entrer dans le miroir.