Emmanuelle Pagano : Ligne 12

 
par Jean-Luc Bayard

La démocratisation de la vitesse (avion, TGV) et la généralisation des communications à distance (par satellite ou internet) ont fait fondre les écarts. Un clic, ou deux correspondances, et tout point du globe est à deux pas, ou à portée de main. Mais l’écriture sait ça depuis toujours, la puissance de la littérature suffit pour ouvrir, à l’intérieur du livre, tous les temps et tous les espaces.
En projetant le plan du métro parisien sur la carte du monde, la collection « Carnets de lignes » traduit littéralement un constat ordinaire, décliné mot à mot, certes, mais ligne à ligne.

Ligne 12 nous offre ainsi un curieux voyage, concentré-dilaté, de Cap Tcheliouskine – Aubervilliers à Base Casey – Mairie d’Issy, via Hambourg – Pigalle, et Océan Atlantique – Saint-Lazare. Il y a sur une seule ligne tellement de récits : est-ce que le monde réussit à les tenir ensemble ? Est-ce que c’est vrai que tous les mondes se ressemblent ? Est-ce qu’on réussit jamais à partir ?

Au premier abord le livre paraît bref, livre express, mais non : il est gorgé, imbibé. L’eau s’y dilate à l’intérieur, fuit en dedans, une implosion cosmique aspire le sable, les divers états de la neige, les boues et les tourbes, « les verdures limoneuses », les pluies, les nuages et tous les ciels, les banquises y passent, c’est un livre de surface, à la jonction de l’air et de l’eau, qui se résorbe en profondeurs, comme un coquillage en colimaçon, une vis sans fin, un pipeau de Hamelin mais inversé qui absorbe toutes les croches de la mémoire.
Les illustrations de Marion Fayolle arrivent comme des messages en léger différé, avance ou retard c’est selon. On reçoit des maisons accrochées à des cintres, une jeune femme qui joue du xylophone sur la mer, une tête pleine d’eau dans laquelle dérivent deux oreilles. C’est léger mais terrible et c’est ça :

Je me suis tellement habitué à me raccrocher aux sons que c’est devenu mon confort. Ce ne sont pas des sons à proprement parler, ce ne sont pas des sons que l’on entend, non, ce sont des vibrations. Maintenant, je n’écoute plus, maintenant, je ressens. Les mouvements des sons descendent le long de ma colonne vertébrale.




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Illustré par Marion Fayolle
Le Square
32 p. 8,50 €