Bernard Noël : La Comédie intime

 
par Marie-Florence Ehret

Ce quatrième tome des œuvres déjà publiées de Bernard Noël regroupe Les Premiers mots, Le Syndrome de Gramsci, La Maladie de la chair, La Langue d’Anna, La Maladie du sens, Le Mal de l’espèce, Les Têtes d’iljetu, Le Mal de l’intime, et enfin Monologue du nous. Cette première personne du pluriel qui a longtemps résisté au désir de l’auteur de supporter un texte.
Si l’auteur excelle à jouer du je et du tu, du dit et du non-dit, de la proie et de l’ombre, il défaille ou fait défaut à nous – à me ? – faire croire aux elles. C’est toujours une langue d’homme qui s’agite dans la bouche d’une femme. Un homme fasciné, ou terrifié par le Rien qu’il imagine et auquel il prête des qualités que bien sûr Rien ne pourrait avoir dans sa non-existence.
Dans ces comédies intimes, Bernard Noël convoque un innommé dont on reconnaît les attributs. J’ai curieusement pensé en le lisant aux poèmes sonores de Bernard Heidsieck qui imagine un dialogue avec un absent dont il a retrouvé le souffle dans des archives d’enregistrement ; j’y ai au fond retrouvé ce souffle que Bernard Heidsieck enregistre. Chez l’un comme chez l’autre, le texte est jalonné d’indices qui conduisent peu à peu le lecteur vers l’identité de ce pronom qui se parle à lui-même, à la première ou à la deuxième personne, ou dont parle à la troisième personne un narrateur tiers, dans un monologue intérieur dont le lecteur est invité à suivre chaque mouvement organique et mental.
Ainsi fantomatiques apparaissent des figures reconnaissables quoique non figurées. Confidences murmurées dans une intimité sexuelle voussoyante pour Bataille. Ego puissant dans La Langue d’Anna. Dédoublement du tu pour Nerval, anonymat du il pour Mallarmé, dédoublement aussi pour Masson, entre le peintre qui s’adresse au regard du spectateur, ou du lecteur, et son corps qui agit et devient il.
Pas de figure pour le dernier texte. Ce nous, que l’auteur a longtemps voulu en vain celui d’une unité politique enfin juste et victorieuse, n’a pu s’écrire qu’avec l’énergie du désespoir, en un nous meurtrier et suicidaire.
Le volume s’ouvre sur un suicide individuel. Il se clôt sur ce dernier acte.




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P.O.L
420 p., 22,50 €
couverture