par Jean-Pierre Bobillot
Pierre Albert-Birot, créateur du Poême à crier et à danser et de poèmes « simultanés » (qui relèvent manifestement d’une vocalité, voire d’une vocorporalité active), fut également l’auteur d’une Ode, poème de lettres au format affiche sur cylindre rotatif1, et de « poèmes-pancartes » et « poèmes-paysages » (qui relèvent ostensiblement d’une visualité, voire d’une lisualité mobile aussi bien que statique). Isidore Isou et ses recrues, ayant à grand bruit inventé la « lettrie » (où s’abolissaient de conserve et se reconfiguraient poésie et musique), s’illustrèrent également par l’« hypergraphie » (où s’abolissaient et se reconfiguraient écriture et peinture)…
Longtemps, l’œuvre plastique de l’auteur de Vaduz demeura quasi ignorée, à l’exclusif profit de son œuvre « sonore ». Il est vrai que lui-même ne la mettait guère en avant, investissant toute son énergie dans la défense et illustration de cette dernière, et de la « poésie sonore » ou « action » en général. Il est vrai qu’il avait là du pain sur la planche : chacun sait ce que tous lui doivent.
Pourtant, la cohérence même de sa démarche exige qu’on en considère la dimension plastique au même titre que la sonore : n’y retrouve-t-on pas les mêmes préoccupations2 (« le quotidien », « l’être collectif en nous »), le même souci de la série (et de la singularité de chaque œuvre dans la série), des procédés compositionnels comparables (telle l’intégration d’éléments verbaux et non verbaux à titre de constituants poétiques ou artistiques) ?
Et le souci de la lettre, constant des premiers Poèmes-partitions à Derviche / le Robert et aux récents Abécédaires. L’éponyme « Clef de sol » et sa « portée » forment ici les cinq fils dont les 26 planches, d’une tournoyante et chatoyante inventivité, sont cousues : après « les mots-musique d’une langue-musique » de Ghil, les lettres-musique ne sont-elles pas, depuis Albert-Birot, Hausmann, Schwitters et alii, au programme explicite de toute poésie consciente de ses bases médiologiques ?
Réalisation impeccable. En accordéon. Comme il se doit !
1. Il y tenait d’ailleurs tout particulièrement, réclamant (en vain) à Iliazd de le faire figurer, à côté de deux « Chants » du Poême à crier…, dans le volume anthologique que celui-ci préparait alors (Poésie de mots inconnus, 1949) : « il mettrait une diversité sur la page, et je serais plus complètement représenté. » (Voir Les carnets de l’Iliazd Club n°8 « Poésie de mots inconnus et le débat lettriste », oct. 2014, p. 68.)
2. Au Poème-partition “V” ou au Carrefour de la Chaussée d’Antin, répondaient les « écritures-collages » des 100 foules d’octobre 1970 ; et de ces foules pressées à l’agitation molé¬culaire des planches de Spermatozoïdes, réalisées à partir d’étranges « bidules électroniques » (2008, 2012), il n’y avait que deux pas : – dans le sonore : la plongée à même le vivant microscopique de P.-p. “A”, puis de La scissure de Rolando ; – dans le visuel : le « recyclage » de circuits intégrés et de segments de bande magnétique, pour les planches de Canal Street… d’où est issue l’œuvre sonore du même titre !