Emanuel Carnevali : Le premier dieu

 
par Philippe Di Meo

Des historiens de la Lost generation ont récemment redécouvert l’œuvre d’un irrégulier italo-américain (1897-1942) qui se trouve être un des pionniers de la poésie américaine moderne. Les éditions La Baconnière ont eu la bonne idée de publier l’autobiographie1 de ce « maudit ».
Fils d’une famille désunie et d’une mère morphinomane, le jeune homme entretient des rapports difficiles avec toutes les institutions auxquelles il se heurte désastreusement. La fuite lui semble être la solution après son renvoi d’un prestigieux lycée pour cause d’amitié particulière. Las de ses incartades, son père accepte de le laisser émigrer aux États-Unis en 1914. Notre adolescent a 17 ans seulement. Les petits métiers seront son lot. Entre-temps, il lit beaucoup (Rimbaud, Laforgue, Corbière, Whitman, etc.) et perfectionne son anglais. Sa description de la misère du sous-prolétariat américain est bouleversante. Il s’essaie à écrire des scenarii et bientôt des vers. Il entre vite en contact avec la société littéraire : Sherwood Anderson, William Carlos Williams, notamment. Ezra Pound le soutient. Il est même salarié par la revue Poetry. Là aussi, il gâche sa chance et finit par errer tel un spectre sur les collines entourant le lac Michigan, tombe malade, est rapatrié et meurt en 1942 dans un asile étouffé par un morceau de pain. Citons maintenant un fragment représentatif : « mon visage révèle une envie d’exploser, que cette explosion est imminente. Il révèle également la torpeur et je n’ai aucune hâte de le modifier. Sur mon visage, il y a tout à la fois la lutte des idées, des impressions et des sensations anciennes et dépassées. Qui a dit que le visage est le miroir de l’âme ? Quelle catastrophe si cette phrase était souvent reprise ! ».
Non sans impatience, nous attendons les poèmes d’ores et déjà annoncés par l’éditeur. Soulignons la qualité de cette édition qui inclut également les proses du poète.
Chronologie, bibliographie et témoignages de S. Anderson, W. Carlos Williams et R. McAlmon accompagnent efficacement le lecteur.



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Traduit de l’italien par Jacqueline Lavaud
La Baconnière
316 p., 18,00 €
couverture

1. L'autobiographie proprement dite est suivie d'une cinquantaine de pages de proses brèves aussi fortement suggestives que sensuelles, dans l'acception large du mot. On lira en outre avec intérêt les témoignages de William Carlos williams, Robert McAlmon et Sherwood Anderson sur cette comète inclassable qu'a été Carnevali, Em' pour ses amis.