par Franck C. Yeznikian
Ô comme je défaille à dire qui tu es. Se lancer après de grands précédents dans la traduction de sonnets de Shakespeare implique d’autant plus, au demeurant, un positionnement et une réelle volonté de savoir quoi pouvoir en extraire. Car il s’agit bien aussi de cela. Cette somme poétique semble par-delà le voile qui s’y manifeste, correspondre au mouvement d’une source intarissable d’anamorphoses à partir de ce minerai élisabéthain d’où s’extrait cet obscur diamant dont parle Bernard Hœpffner à la suite de sa propre livraison1. Cette récente traduction effectuée par le poète et éditeur Cédric Demangeot nous offre ainsi un florilège de dix-sept poèmes dans un bel et simple écrin appartenant à la collection « Le Bordel des Muses ». Le tour de force de son beau labeur a consisté à façonner ses traductions sous l’insigne presque total de l’alexandrin tout en épousant la structure des rimes. Lorsque on se retrouve devant une exception, il suffit par exemple d’observer le mode de transposition du mètre qu’il aura alors déterminé selon une logique propre, au regard de l’original composé en décasyllabes. La tempérance lyrique qui émerge dans son ensemble n’est pas sans caresser la veine lyrique et physique de la traduction sanguine et incarnée par Jouve en 19552. Ce recueil de dix-sept sonnets & dessins se clôture sur le 146ème, laissant le lecteur avec cette scansion on ne peut plus explicite, et où, tel un arc herméneutique miroitant, le distique final évoquera la tonalité du 12ème en ouverture :
Si rien, du temps faucheur, ne saurait se défendre,
Engendre, et nargue-le lorsqu’il viendra te prendre.
Morte la mort mangeuse d’hommes que ton corps
Nourrit, l’éternité chasse à jamais la mort.
Accompagnés de dessins de Magali Latil.
Fissile
« Le Bordel des Muses »
20 p., 6,00 €
1. Shakespeare, Les Sonnets, traductions de l’anglais et postface par Bernard Hoepffner. Éditions Mille et une nuits n° 253. 1999.
2. Shakespeare, Sonnets, version française de Pierre jean Jouve, Gallimard, « Poésie », 2001.