Caroline Sagot Duvauroux : ’j

 
par Étienne Faure

Avec ce beau titre énigmatique – ’j – Caroline Sagot Duvauroux nous livre un nouveau recueil, aux éditions Unes. Un titre incisif empli de réversibilité, de symétrie en miroir, et cette tournure inverse que prennent les questions. Car le point d’interrogation rôde fréquemment dans cet ensemble que ne fracture nulle sous-partie, sinon des blancs qui annonceraient des temps. Un premier mouvement de textes est ponctué, en bas de chaque page, d’une question insistante, déclinée à chaque fois autour de l’absence : « L’absence peut-elle… », complétée sur la page d’en face, en vis-à-vis : « affranchir la présence du seuil ? » ; « claquer la porte du silence ? » ; « nommer je, tu ? »… Une interrogation sur l’absence et, tout en même temps, une absence qui apostrophe et sonde dans des textes aux gabarits variables et aux typographies disloquées, comme démantelées. Des mots essaimés, isolés sur la page où tu et je se heurtent constamment, s’échangent, se substituent l’un à l’autre, se perdent et se permutent, se relient dans un dialogue tenace : « Tu s’est perdu où je quittait je » ; « la présence était le présent de je que je crus tu » et « la faillite de je » : « Un je explétif en tu ». Je ? « Pas je, pas j’. ’j. une épluchure… (une spéculation ?) ; ’j, qu’une apostrophe annonce… ». C’est à cette allure qu’avance le texte, en mots hachés, comme contenus par l’émotion qui sourd à tout moment, des mots qui n’achèvent pas la phrase, l’abrègent même, coupent court au sens, comme laissés à l’inutilité de dire. Au doute d’écrire encore. Puis le recueil glisse au « Il impersonnel en je », comme (un peu) mis à distance dans un deuxième temps avant d’aller buter à Tanger : « Il faut bien épuiser le sujet » et laisser place au « narrateur ». Dire la perte. « Qui pleure-t-on ? / Y-a-t-il un secours ? / Couper dans soi ? » ; « Se taire ? Je se taisant ne tait pas grand-chose d’autre qu’aller si du moins grand-chose fut d’aller. » Caroline Sagot Duvauroux réitère, ne veut pas, n’entend pas se taire : « Alors tais-toi / Non ». Les mots tranchent.




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Éditions Unes
64 p., 16,00 €
couverture