par Agnès Baillieu
Merci aux éditions Nous.
Sur Kafka rassemble, pour la première fois, tous les textes que Benjamin a consacrés à Kafka : textes lus à la radio, « essai-hommage »… et surtout lettres, plans, ébauches. Nombre d’entre eux n’avaient pas été rendus publics de son vivant, beaucoup étaient inédits en français. Ce livre est très précieux, à plus d’un titre. Dense, riche et très clair (on peut aussi applaudir aux choix de traduction qui rendent l’ensemble si proche du lecteur), il montre Benjamin en réelle et permanente symbiose avec Kafka : celui-ci décédé en 1924, c’est dès 1925, et jusqu’à sa mort en 1940 que Benjamin travaille sur son œuvre, même s’il la délaisse quelque peu pour Baudelaire et les Passages à la fin des années trente. Au fil du temps, les lettres par exemple (de même que les réponses qu’elles suscitent, notamment d’Adorno, de Scholem), mais aussi des notes très brèves, montrent un projet en constante évolution, et placé sous le signe de l’échange, ce dont Benjamin précise que c’est nouveau pour lui. Eloigné de la psychanalyse comme de la critique théologique, Benjamin qualifie lui-même son « interprétation » de « résolument pragmatique », fondée notamment sur des éléments visuels et le lien Halakha / Haggada, et, après l’essai-hommage de 1934, il affirme en 1938, dans une lettre à Scholem, que ses notes offriront une nouvelle « image » de Kafka. Si on l’avait oublié, on mesure à quel point Benjamin, entre Berlin, Paris, le Danemark chez Brecht, doit faire face à des difficultés matérielles permanentes : aux aléas des publications de ses articles, s’ajoutent le désir de rentrer en possession de sa bibliothèque, et le fait qu’à Paris les livres de Kafka sont pratiquement introuvables…
Présentées enfin dans leur intégralité et leur véritable chronologie et, comme pour les textes de Benjamin, dans une traduction particulièrement précise, douée de vie et qui suit un texte original établi avec rigueur, les lettres de Kafka à Milena sont à la fois une œuvre littéraire en soi, une composante d’une œuvre littéraire, et une authentique correspondance (les lettres de Milena sont perdues). Cent quarante des cent quarante-neuf lettres ont été écrites en quelque dix mois de 1920, année pendant laquelle Kafka et Milena ne se sont rencontrés que deux fois. Motif récurrent : l’attente passionnée des lettres de Milena et le plaisir que procure leur arrivée. Et les lettres de Kafka « configurent la personnalité du scripteur », comme le rappelle la préface. La peur règne sur sa vie. Lettre du 9 août 1920 (Kafka tutoie Milena depuis deux mois) : « Car moi aussi, même si j’apparais quelquefois comme un avocat stipendié de ma peur, je lui donne sans doute raison au plus profond de moi, oui je tire d’elle ma substance et elle est peut-être ce que j’ai de meilleur. Et comme elle est le meilleur de moi-même, elle est peut-être aussi la seule chose que tu aimes. Car qu’y aurait-il d’autre en moi de vraiment aimable. Mais cela est digne d’être aimé. »