Caroline Sagot Duvauroux : ’j

 
par Antoine Emaz

Interroger l’absence. Dès le premier poème, monostiche, noir sur blanc, seul sur la page : « L’absence peut-elle ». Cette question initiale se ramifie ensuite, se décline, rebondit au fil des trente premières pages, lancine : « L’absence peut-elle être l’instance ? », « … peut-elle être la préséance ? », « … peut-elle nommer je, tu ? », « … peut-elle affranchir la présence du seuil ? », « … peut-elle claquer la porte au silence ? »… L’interrogation est un mode dominant du livre et traduit une désorientation du je, privé de sa part de tu, tout comme le tu a emporté avec lui une part de je. Comment rétablir un je stable ? Comment repasser par cet « imparfait passé » pour retrouver l’énergie « car nous allions plutôt que nous n’étions », quand il n’y a plus de nous mais seulement un reste de je, et pas moyen de faire machine arrière ? « Je te dirais je m’a quittée, c’était un copain. J’ignorait, dans tu, je. L’ignorant dans tu que je, c’était je. Quand il disparut j’ai pris son nom d’ami. Je l’ignorais. » Caroline Sagot Duvauroux nous fait entrer avec force, nous force à entrer, dans une violente spirale du découplement. La mort ne sépare pas l’un de l’autre, elle casse plus profondément ce qui était de l’un dans l’autre et de l’autre dans l’un : elle défait peut-être ce qu’on appelle aimer. Dans ce naufrage, « je n’est qu’un présent désorienté », et « demain ? qu’est-ce dire ? / Qui suis-je ? est-ce ? et pour qui sont ? » Deux éléments pourtant restent comme des balises dans cette dérive du deuil : la pensée, et parler. « La réflexion ne sauve pas, rend joyeux, ce qui ne sauve pas », et « Faut-il cesser d’écrire quand / on n’a plus qu’une chose à dire ? / Non. » Mais la part laissée au blanc dans ces pages ne relève ni du hasard ni d’un choix d’esthète. Et les ruptures formelles aussi, de la prose compacte au vers éclaté, ne traduisent pas une écriture « facile » mais un livre de lutte, finalement gagnée contre.




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Éditions Unes
64 p., 16,00 €
couverture