par Jean-Luc Bayard
La fin du livre
L’œuvre de Danielle Mémoire est relativement simple à décrire. Les dix-huit livres publiés en trente ans (tous chez P.O.L, le premier en 1984) se répartissent en deux groupes : les quatre premiers romans, autonomes, indépendants, sont suivis depuis Modèle réduit (1999) par une série qui réfère chaque ouvrage (duquel les personnages, membres d’un Cercle, réclament tour à tour d’être l’auteur unique) à un Corpus.
« Avant de s’attaquer au Corpus, cet auteur unique avait écrit quelques malheureux livres. (…)
Il ne tiendrait qu’à cet auteur d’intégrer au Corpus, le souhaitât-il, ses livres antérieurs.
Il ne le fait pas », précise sa dernière livraison. Il lui suffit, sans doute, que le Corpus intègre, par avance, tous ses livres à venir, qu’il annexe, le souhaitât-il ou non, ses livres postérieurs…. Et l’on ne peut que constater, effet de ce dispositif d’écriture, la disparition de la fin – ou sa confiscation, par les personnages.
À quoi pourrait donc rêver l’auteur désormais – sinon à finir ?
Trois moyens mis en œuvre simultanément entretiennent cette préoccupation. D’abord le livre est renvoyé, par sa quatrième de couverture, au Cabinet des rebuts. Il est aspiré dans « la description de l’ensemble des projets que nous nous sommes formés dans les deux dernières années. » (Ces projets ont échoué, le livre qui les contient aussi, donc il n’existe pas.) Mais l’effondrement du texte ne reçoit pour secours que l’évanouissement du personnage : Esclarmonde insiste, de qui « l’incontestable fadeur nous apparut comme apte à signifier l’évanescence, auprès de l’œuvre, de la figure de l’auteur ». L’estompement général est traversé par un contre-calendrier : le calendrier junien (nous sommes, aujourd’hui 2 septembre, le 17960 juin 1966, n’est-ce pas ?), qui renvoie le livre à une origine catastrophique (de transposition en transposition, l’événement prend ici la tournure d’un « accident de voiture »). Focalisé sur l’accident, sur sa hantise, le livre se resserre sur la fin qui l’origine : il n’est plus qu’écriture de la fin.
Il n’y a plus ni texte, ni personnage, ni auteur. C’est au tour du lecteur, maintenant, d’être inquiet.