Cahiers Bataille

 
par Stéphanie Eligert

Le volume est élégant, luxueux (format ample, couverture noire brillante, police fine, papier épais aux nuances ivoire, etc.) – et cependant, ce luxe, à la pratique, n’a pas les effets qu’on pourrait craindre : celui d’un fétichisme de Bataille faisant, au final, qu’on ne réfléchit pas à ses concepts, mais se contente de les admirer dans une contemplation stérile.
Au contraire, Bataille est réellement travaillé, et cela au travers, semble-t-il, d’une structure conçue comme permanente : il y a un entretien, des parties dites « critique » et « contexte », des traductions de théoriciens internationaux, des créations littéraires et plastiques, des inédits. Et l’impression la plus frappante qu’on retire de cette seconde livraison, c’est qu’on sent à l’œuvre le meilleur de ce qu’on peut appeler une atmosphère bataillenne de pensée : une manière grave, profonde et calme de pénétrer les concepts cruciaux de l’existence.
Pour ma part, si tous sont très bons, trois textes me paraissent plus particulièrement attirer l’attention : Nidesh Lawtoo sur « la naissance de l’ego » (qui pose la belle question de « qui vient après le sujet ? »), Miguel Marey sur « la sanctification du rire » (ce qui l’amène à retraverser le troisième pan de La Part maudite, La Souveraineté) – ou encore, mais de façon plus problématique cette fois, le texte de Mark Meyers sur « la virilité et la psychologie des foules dans l’antifascisme de Bataille ». En dépit d’une certaine légitimité critique, il y a un dérangeant mélange de désuétude et de danger à choisir d’appréhender un phénomène aussi brûlant que le fascisme (à l’heure où celui-ci s’impose de plus en plus violemment en France) en valorisant le schème de… la virilité.
Toujours est-il que cela conduit à des aller-retour permanents vers les Œuvres complètes de Bataille – et la conclusion est qu’il y a, non pas une actualité théorique de Bataille, mais une inactualité, et que c’est précisément dans ce décalage nietzschéen que ses concepts déploient leur puissance étrange, non dialectique et cependant alternative, voire – pour certains (comme la souveraineté) – révolutionnaire. Bien que ces Cahiers ne semblent pas opter pour de grands axes thématiques, l’on aurait envie qu’à l’avenir, ils choisissent de se concentrer sur certaines questions : l’antifascisme, oui, mais sous l’angle de l’espèce de solution immanente et sensible qu’avait définie Acéphale dans les années 30, puis – corollaire au fascisme, permettant, en plus, de soulever une singularité très forte des effets de lecture de Bataille –, il y aurait aussi la question de la peur.




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Cahiers Bataille
N° 2
Éditions Les Cahiers
272 p., 35,00 euros
couverture