par Mathilde Azzopardi
« Lava n’. / Savait pas. Qu’elle avait. Un baba. Dans l’bidus. » – Lava de Rémi David est le long monologue d’une jeune femme, enceinte (« extincte ») sans le savoir qui, dans la stupeur, accouche (« aboube ») seule chez elle, étrangle l’enfant (le « baba », le « dansant ») et le met au congélateur (« Frigoudère »).
« Vous n’me. / Comprendrez. Pas. / Personne ne. Peut. / Comprendre. Qu’on. Tue. / Un. Dansant. / Personne moi. Non. Plus je n’. Réussis. Pas. / Mais vous. Me. Connaîtrez. » – Devant un tribunal, dos à un public qu’elle apostrophe, Lava, alternant le « je » et le « elle », s’explique sur ce meurtre.
« Lava ’l’était. Gentille. Petite krave. » – Lava raconte son enfance, invoque ses parents (son « Pa », sa « Tite Ma »). Sa passion pour un homme – « Cet. Amour. Là. / Pour son lièvre cet. Amour. De Lava. / Stumédiant. » –, le père de l’enfant, qui ne voulait « pas d’dansants pas. » Lava ne cache rien des irréparables blessures du passé – « La. Memoria. Elle. N’oublie. Pas même. Quand. Elle. Oublie elle. N’oublie. Pas elle. Ferme. Les yeux. Parfois pour. Mieux. Rouvrir. Ensuite les. Paupières elle. Garde. Tout et. Surtout. Le. Pire la. Memoria. »
Cette langue déchirée – pour reprendre Beckett, cité en exergue – déformée, détournée, hachée, imprévisible et pourtant parfaitement lisible, paraît seule à même de porter ce récit abominable. « Les mots. Justes. », nous dit Lava, pour ce que le langage courant, dissimulant l’horreur derrière l’ordinaire, nomme fait divers.
La langue est, comme chacun sait, un instrument de pouvoir. Lava, en la matière, ferait aisément figure de magistrale laissée-pour-compte. Or, assurément, la sienne n’a pas pour objet de représenter une classe sociale déterminée – elle est pure construction, tentative d’atteindre au vrai langage d’Artaud, dans la filiation duquel l’auteur entend s’inscrire.
« Au. Jourd’hui on. Écoute. Lava ! Et. On n’. L’interrompt. Pas on n’. La. Contredit. Pas on. Ne la. Coupe. Pas ! On. L’écoute ! On. Écoute. Lava ! »