par Françoise de Laroque
Suspendre le cours du temps ? Ici, le suivre. Une suite d’instantanés : ports, plages, chambres d’hôtel. Le vers bref ne s’attarde pas, n’emporte parfois rien du précédent sinon une assonance, court de prénom en prénom, de ville en ville, de rue en rue. Temps plein, dynamique, où la contemplation ne se distingue pas de l’action. « Baie de Garavan, nous / admirons la baie »
Jours, lieux, prénoms reviennent. Temps cyclique. Ronde des quatrains. Mais le temps change ce que les mots répètent et il arrive que les noms reviennent seuls. Albert, Georges rencontrés dans la première séquence sont morts page 69. Les marques spatio-temporelles de la langue ne font qu’effleurer la surface. « Mardi, la vie en France », « La mer a sa poussière ce matin »
Comme le poème en précisant l’endroit et le moment ne cherche pas à jeter l’ancre, l’horizon est vaste : du passereau, de la musaraigne aux astres et astéroïdes, du commun au rare. Il convoque une foule d’amis et d’inconnus ainsi que des méconnus, le poète Chapelle, Aspazija, poète lettone. Il mêle aux sons bien de chez nous des consonances étrangères. La fragmentation, la localisation, au lieu de cloisonner, ouvrent l’espace. Vers, strophes, guillemets des propos rapportés, une abondance inhabituelle de majuscules segmentent, encadrent mais la fin des vers et des quatrains toujours libre de ponctuation laisse couler le flux. Avec insistance, le poème entre dans le moule grammatical des proverbes et dictons pour défaire ces boucles de sagesse populaire et rendre aux mots leur libre cours « Qui mange grive oublie mardi », « Qui garance, éternue fenouil et brique »
Le cours du poème n’est pas agité par les émotions. Ni nostalgie, ni effroi devant la violence des rues. La ritournelle englobe crimes et douceur de vivre. Un « je » discret ne revendique pas notes et images issues de l’album personnel, des journaux, peut-être de romans et films noirs, ni le parcours entre lieux proches ou lointains, depuis le Castel Royal, cet hôtel de Dieppe qui porte encore les traces du bombardement jusqu’en 2013.
Johannes, Hermann soutire toutes sortes de noms, propres ou communs, au mystère de notre inscription dans l’espace et le temps. Sans illusion et sans amertume. La lune qui se manifeste à plusieurs reprises dans le poème garde ses secrets.