par Sacha Steurer
« Prendre une loupe c’est faire attention, mais faire attention n’est-ce pas déjà avoir une loupe ? L’attention à elle seule est un verre grossissant. »
Gaston Bachelard, La poétique de l’espace
Qui n’a pas déjà, au hasard d’une promenade, ramassé sur sa route et emporté avec soi une aile de papillon, une fleur, un marron, une pierre ? Les livres de Stéphanie Ferrat ont cette dimension poétique d’un objet miniature trouvé dans la nature : un monde en soi, chaud, concentré dans des petits formats. L’artiste plasticienne et poète est l’artisane exclusive de ses livres fabriqués dans l’atelier de Marcoux, une campagne provençale du Var.
Plutôt un prolongement de son travail d’artiste qu’un travail d’éditrice, sont parues au printemps trois nouvelles trouvailles naturelles aux éditions « les mains » : Poils de Ludovic Degroote, Mangeoire et Pou de tête de Jean-Louis Giovannoni dans la collection « les moches », à 30 exemplaires numérotés et signés chacun. Pour Stéphanie Ferrat, ces collaborations composées d’un texte court d’un auteur et de ses interventions picturales est « un espace de frottement, de frôlement avec l’autre. Son monde. Un moyen de faire bouger les lignes, agrandir la peau. »
Ludovic Degroote que l’on connaît déjà dans un partage de l’espace du poème avec des artistes (Jean-Marc Scanreigh, Thierry Le Saëc, Gérard Duchêne…) signe ici un texte très court à la valeur dynamique d’un noyau ou d’un germe en 19 vers de 3 à 6 mots maximum.
je déblaie de ma langue / où je peux qui pousse / à travers les fentes
Comme toujours chez l’auteur, l’écriture se confronte à la résistance de la langue, mais cette fois, c’est pour lui faire la peau.
une vie par langue / une langue par vie / demain c’est promis / je rase gratis
Car si le poète, comme tout grand poète se doit d’être une réponse à la mort (Octavio Paz), couper les poils d’un animal signifie dans de nombreuses croyances le purifier avant de le sacrifier. Ludovic Degroote, poursuit, sans s’en écarter, la nécessité intérieure, vitale, qui le pousse à écrire. Le poids des mots, peu nombreux, n’est autre que le poids de la gravité, un phénomène physique corrélatif à l’expérience humaine dont l’auteur se fait le script.
Pigments, collages, bâton d’huile, mine de plomb, cette chose proche de la peinture qu’appelle Stéphanie Ferrat, nous invite à regarder le livre de près, comme on observerait à la loupe une formation ou une déformation naturelle. Par molécules de dessin, elle nous invite à entrer dans la matière du texte : le vivant. C’est bien cet intérêt commun avec Jean-Louis Giovannoni qui a donné lieu à la création de la collection « les moches », une collection consacrée à ce qui grouille : blattes, cloportes, mouches… Confrontant régulièrement ces textes à un public scolaire, les jeunes, selon l’auteur, y verraient une dimension politique : l’attention à l’infime donnerait toute sa dignité littéraire au tout petit.
Pou de tête
Édition les mains
« Les moches »
16 p., 50,00 €