par Luigi Magno
Dans ce livre posthume, agencé par les soins de Jan Peter Tripp, se prolongent le travail de W. G. Sebald sur les sujets majeurs de ses proses (tels le temps, la mémoire, le souvenir) ainsi que le dialogue incessant que son écriture entretient avec les images. Le dispositif est plutôt simple : les gravures de Jan Peter Tripp campent sur la page de gauche en y installant un regard ; des haïkus de W. G. Sebald, sur la page de droite, croisent ces regards comme autant de notes ou paroles ‘non racontées’ (comme le suggère littéralement le mot Unerzählt, titre original en allemand). Au lecteur la tâche de dénicher les résonances ou de suivre le dialogue (impossible) entre ces matériaux. Nous avons été frappés par cette insistance muette sur l’œil, la perception rétinienne, l’action de regarder / voir, dont le point de plus haute tension est presque au cœur du livre. Les gravures de Jan Peter Tripp, sous forme de lamelles rectangulaires, cadrent alors, comme à chaque fois, des regards, tandis que les textes ressassent le même motif, que ce soit par une citation (« My eye / begins to be obscurated / notait Joshua Reynolds […] », p. 49) une notation concernant la peinture (« Comme un chien / dit Cézanne / c’est ainsi que le peintre / doit regarder l’œil / impassible & presque / détourné », p. 51), une note physiologique (« Depuis la proue / du cerveau les / images comme tirées / en plein vol / atteignent la cellula memorialis / la chambre froide / la mémoire », p. 53), un détail de l’Histoire (« On dit que / Napoléon / était daltonien […] », p. 55), une métaphore optique (« Vu / de l’herbe / bleue / au travers d’une fine / couche / d’eau / gelée », p. 57). Si on voit circuler dans ce travail une tentative de sonder, voire de « percer » les marges du réel, ses profondeurs et sa mise en mémoire – le reste de l’œuvre de W. G. Sebald invite à une lecture de ce type, ainsi que le remarquent aussi bien la préface que la postface de l’édition française – de même qu’un jeu intertextuel vertigineux, on y retrouve tout aussi bien une interrogation autour de l’œil en tant qu’organe où se joue notre perception, sorte de zone d’échanges problématiques avec le monde. C’est la leçon que nous retenons, en marge, en écho au Film de Samuel Beckett, dont le regard nourrit la galerie proposée (p. 72).