Jean-Jacques Viton : Selected sueurs

 
par François Zénone

Le présent est un endroit dangereux.

Écrire, penser, classer le monde, établir des listes à partir d’un ensemble de situations soulignant des événements particuliers dans les domaines du social, de l’affectif, du sport, de la misère, des affrontements. La liste comme dépôt. À chaque situation correspondent des signes indiquant une orientation à l’intérieur de laquelle le désir, le combat, le pari, l’habileté, le courage, l’obstination deviennent la clé des signes retenus. Écrire, détourner, emprunter, l’exergue du livre nous avertit : « volés ensemble ici et là, tout y est absolument nouveau » (annotation de Beethoven en marge d’une partition). Selected sueurs est un dispositif. Un dispositif au sens où l’entend Francis Ponge dans son texte sur Lautréamont « Adaptez à vos bibliothèques le dispositif Maldoror-poésies » : « Plus rare encore ceux qui, pour se faire, (fabriquer un livre) se suffisent du petit outillage minimum : l’alphabet, le Littré en quatre volumes et quelques vieux traités de rhétorique ou discours de distribution des prix. » Le poème comme dépôt. Entre attraction (« Le présent est un endroit dangereux ») et tumulte (« il se prépare quelque chose j’ignore quoi »), neuf séquences déploient leur trame narrative, petits paquets séquentiels sous le titre général « et puis les choses s’ajoutent aux choses ». Le monde est tout ce qui arrive, chaque geste, chaque attitude, chaque pratique trouvent leur phrase, ensuite le monde se dissout en faits.
Ces phrases sont le sismographe de notre contemporain :

on entre dans une vie nouvelle
il faut retourner chez les lions
c’est rude       c’est cru

Énumération d’un quotidien malade, cartographie de l’espace terrestre, aérien, liquide (la femme), cadrage de l’image qui fait figure. Désir scopique :

ce sont ses cheveux
un mur de blond c’est comme ça
soyeux ou non   bien peignés   gardant ses plis
dans les mouvements de la tête
les inclinaisons chic.

Quelque chose de posé, prosaïque qui tombe dans la phrase :

ruissellement du blond           au moins ça
un amas de blondeur       un mur

première phrase du livre. La première phrase est seule, totalement seule, et la vitesse qui conduit une phrase à la suivante est remplacée par une aimantation qui se trouve non dans les mots, mais sous eux, en réserve de la suite, jusqu’au terme du livre quand la phrase se suspend, provisoire clôture :

jésus décampe dit Jack Spicer

on peut attendre avec confiance
la suite des opérations.

— Article publié dans CCP n°21, 2011.




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P.O.L
128 p., 16,50 €