par Stéphanie Eligert
L’écriture de Jérôme Bertin est radicale. « Je est un vautre. J’irai pisser sur ta mère. Au sens propre et sale. Ronger le frein. Il ne sort pas sans sa femme sans laisse. Il aime sa voiture et son épouse. Il préfère son voisin à l’étranger. Je n’ouvre plus mon courrier. Ma vie va à vau-l’eau. Demain, la privatisation de l’air. L’air de rien. Brûler tout. » De quoi est faite cette radicalité, textuellement ? D’abord, d’une violence appliquée au pied de la lettre, au « sens propre et sale ». Puis la lecture cursive vient complexifier ce qui syntaxiquement, pourtant, semble très simple. De fait, toutes les phrases du livre sont simples : sujet verbe, compléments isolés, phrases nominales. Il n’y a pas de subordination – et cela aussi, il faut l’entendre « au sens propre et sale » de la grammaire française. Ces phrases sont insoumises ; aucune n’est la dépendante de l’autre ; chacune affirme sa puissance. Et elles s’empilent, vont vite dans une horizontalité que le lecteur reçoit comme une série de coups de poing (où c’est d’ailleurs moins la phrase qui frappe que le blanc, l’espèce de virage sémantique à 180° que chacune prend par rapport à l’autre). Et il faut également voir Jérôme Bertin lire en public car l’on sent combien sa radicalité tient dans sa fragilité, sa pauvreté qu’il expose « peau sur la table » : gorge sèche, regard mélancolique et timide levé vers un auditoire qu’il regarde en paraissant demander pourquoi le « monde est devenu un anormal ».