Véronique Bergen : Marilyn, Naissance année zéro

 
par Matthieu Gosztola

Déconstruire le mythe. Faire choir l’icône1. S’intéresser au corps, avec la ferveur et la patience dictée par l’attente conçue comme principe même de la passion, de son cours, avec la ferveur et la patience d’un entomologiste. Lacérer l’image, l’imago, dans le sens jungien et dans le sens premier, biologique2, pour que dans les blessures – nombreuses – qui sont infligées à cet imago, un peu de lumière nous parvienne. Cette lumière paradoxale, sœur de l’ombre, qui a ontologiquement partie liée avec l’humain. Dans sa mesurée démesure. Dans sa petite grandeur. Telle est l’entreprise qu’a voulue Véronique Bergen, au sujet de Marilyn. Telle est l’entreprise qu’elle a menée à bien, comme en témoigne l’hallucinante page 282 (« Ce qui vous déplaît dans ce conte de fées »...).

Mais s’il est un passage que nous nous devons de citer, tant il présente en un seul paragraphe le projet de l’auteur courant sous le flux tendu des phrases, tant il dit, sans qu’il soit besoin d’explicitation, quel est le corps même du livre, c’est celui-ci : « Chanter Happy Birthday devant l’Amérique m’a valu la disgrâce. Mes lèvres ont mimé le coït devant des millions de téléspectateurs. Une bouche comme la mienne est faite pour manger des étrons, telle a été la réponse du clan Dynneke. Exit John, il me reste Bobby qui me balance son foutre au visage, Bobby qui me pompe l’air avec mon carnet rouge qu’il veut détruire, déchiqueter en lamelles que j’avalerai assaisonnées de chantilly. Ma ligne de vie joue à saute-mouton, les hommes baisent une morte une nuit sur deux. Tu as bien fait de rester dans l’ombre, Norma Jeane, de demeurer auprès de maman. C’est pas bête, petite mouche, de te cacher du monde, au moins tu fais partie de la cohorte des borderline anonymes que la folie borde berceuse maternelle. Cette nuit, méchante, tu n’es pas venue injecter du peroxyde d’hydrogène dans mes cauchemars afin de les dissiper. Norma, si nous cessions notre guerre ? Je te rappelle que tu as vingt ans de plus que moi, qu’au lieu de saboter mes conquêtes en surgissant au milieu de mes ébats, tu pourrais greffer une partie de ta tignasse dans mes cheveux morts, cajoler mes fœtus pour leur ôter leurs envies suicidaires, jouer papa / maman, papa / enfant avec moi. »




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Al Dante
296 p., 17,00 €
couverture

1. Véronique Bergen poursuit en ce sens, mais romanesquement, le travail de pensée qu’elle avait commencé avec Le Corps glorieux de la top-modèle (Nouvelles éditions Lignes, 2013).


2. Le terme imago désigne l’état adulte chez certains insectes (comme les papillons) qui, après une mue et une métamorphose, ont développé leurs ailes et leurs caractères sexués.