Serge Pey : La Boîte aux lettres du cimetière

 
par Patrice Corbin

« Ta poésie est radicalement matérielle, passionnément charnelle », c’est ainsi que Daniel Bensaid parlait de Serge Pey, le « amarade » comme il avait l’habitude de le nommer. Une poésie dialectique, une « poésie [qui] ne sert pas à être comprise, mais à comprendre », une poésie du monde inversé qui livre bataille et se consume dans le jeu des contradictions. La porte devient table pour défier l’ordre de l’utilitarisme, une subversion de l’objet auraient dit les surréalistes. Il y a la boîte aux lettres du cimetière, parce qu’on écrit aux morts qui « veulent devenir vivants » et ce lieu, la porcherie. En lisant le récit de Serge Pey, on doit faire le pari d’un langage en miroir où ce qui peut paraître paradoxal se résout par la conquête du sens, une sorte d’alchimie interne au langage que le poète identifie à la croisée des mots qui se carambolent et sont, au carrefour de cet accident linguistique, un nouveau départ. La porcherie avait les toilettes les plus belles du monde, sur la porte de celles-ci on pouvait lire les Propos torcheculatifs de Rabelais et ce lieu de l’aisance, comme le disait papa, réunissait toutes les conditions pour « apprendre nos poèmes … Il n’y avait pas mieux que la merde pour cela … La poésie aime la merde ». La Boîte aux lettres du cimetière est une marche pour Antonio Machado, une cascade où le vent de la vie souffle en rafale sur Collioure pendant que les enfants s’expérimentent au jeu de la mort en se glissant sous le sable afin d’appréhender le noir de l’ensevelissement sépulcral, pour « être comme un mort, mais sans être comme lui ». Le lecteur comprendra très vite que l’on ne peut fermer ce livre, on s’y promène et il n’est pas question de se reposer, ça bouge, nage, vole entre saumon, le poisson révolutionnaire qui dialectise la cascade, et goéland, cerf-volant vivant, qui meurt au bout d’une ligne de pêche. Serge Pey, enfant de la guerre d’Espagne, parle la langue d’un monde pour lequel nous devons nous battre, entre Soleil rouge et Lune noire.1




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Zulma
208 p., 17,00 €
couverture

1. Également paru : Serge Pey, Agenda rouge de la résistance chilienne, Al Dante, 2014.