par Christian Travaux
Que dire de cette vie, qui nous échappe et qui nous noie dans ses traits, dans sa multitude ? Qu’elle est une trace fragile, à peine une lueur, et qui va se perdre toujours dans les choses, dans la matière ? Ou qu’elle est une traversée, un peu de la lumière du jour, tout de même, qui nous emporte vers cet horizon perpétuel, cette ligne de démarcation, où se noie toute information, où elle-même devient néant ? C’est bien la question que se pose, dans ce premier livre traduit en français, Maurizio Cucchi. Vies particulaires. Ou comment dire le quotidien, le banal, ce qui est commun à tous, et pourtant singulier. Le cours d’une vie. Le drame humain par excellence, notre vie, ou cet impossible retour dans cette vie qui nous prend et qu’on ne peut pas maîtriser. La mort d’une mère, où se nouent présent et passé, souvenir et manque, invisible et visible ensemble. Le deuil. La perte. Le douloureux dialogue qu’on mène face aux morts pour qu’ils nous reviennent ou qu’ils nous répondent peut-être, qu’ils nous pardonnent. Mais avec, toujours chez Maurizio Cucchi, cette dimension métaphysique qui est propre à sa poésie. Des éléments, parfois, narratifs, fragments de prose ou de vers, tant est fragile, chez lui, cette frontière qui sépare la langue poétique de la prose. Et jamais rien, vraiment, d’intime, de personnel ou de réel : les personnes sont des personnages, les faits sont des situations, les souvenirs rendus abstraits, par cette langue à la Montale, intellectuelle et cérébrale. Des noms, des faits. Et simplement des aperçus sur une vie qui reste secrète. Quelques lueurs, mais fondues dans une série d’impressions ou de réflexions métaphysiques ou scientifiques. Les pensées-âme d’un homme seul, en face de l’universel. Et sa tentative d’une langue qu’on réduirait à l’essentiel, à l’os lui-même. Ainsi Cucchi, dans cet ouvrage, qui dérange, qui interroge.
Le bousquet-la barthe éditions
« Les petits gris »
112 p., 12,00 euros