par Christian Travaux
D’Une île ici à Gens sérieux s’abstenir, il y a la mort. Il y a la souffrance et la mort, l’immobilisme et la rêverie d’un ailleurs, la maladie. Depuis longtemps, Jean-Claude Pirotte écrit de la poésie. Et depuis dix ans, les recueils se sont succédés rapidement, comme si écrire était pour lui battre de vitesse la mort. Des vers classiques. Des vers courts, le plus souvent. Des poèmes courts ou des sonnets. Jean-Claude Pirotte se moque d’être classique ou moderne. Il n’a plus le temps. Il est texte. Il est poème. Il est lui-même poésie. Et il écrit pour faire barrage à la mort qui l’envahit, qu’il sait prochaine.
Dans Gens sérieux, il dit ainsi – en sonnets constamment rimés – sa mort, la mort qui va venir, qui l’entoure déjà dans l’ombre, ou qui le précède par la mort de son chat mourant qui l’observe. En pitre, ou en clown de la langue, en funambule triste, il joue tour à tour du langage, de la rime, du sonnet classique, pour un peu déjouer la mort, la faire fuir ou la faire attendre. La mettre à mal. La mettre en mots. Et faire grincer, jouir la langue de manière jubilatoire. Ou bien il voyage. Il regarde, de son lit-cage (comme il dit) des nuages, et s’échappe encore, en claudiquant et en cherchant la boiterie dans son poème.
Dans Une île ici, c’est encore plus troublant, plus poignant peut-être. Car l’île, c’est « il » évidemment (« il », et son féminin « île », disait Jabès), immobile, cloué au lit. C’est lui, c’est elle au bout du lit, à portée de rêve, là-bas. L’île ici, c’est son bateau ivre, où il faut embarquer toujours, pour partir, pour partir encore quand on ne le peut plus désormais. Chassé d’ici. Cloué ici. En quête d’une autre île, d’une vie où l’on pourrait se reconnaître, ou se connaître. Ici : silence. Silence qui retient trop de cris, écrit-il, et non pas silence, mais mutisme vraiment chargé de toutes nos pauvres douleurs. Aussi vaut-il mieux s’en aller vers ailleurs, explorer son île intérieure, que de survivre. Survivre. Mourir à petit feu, au point qu’on ne peut même plus dire « je », en parlant de soi, tant « je » nous est trop étranger, tant la souffrance éloigne de soi, tant tout d’un coup on n’est plus rien.
Ainsi Pirotte, dans ce dernier recueil publié, esquisse-t-il un rêve. Un rêve juste au seuil de sa mort : celui d’une île qui ne figure nulle part, sur aucune carte. Un rêve de, peut-être, survivre ou d’un beau jour pouvoir revivre encore un peu, encore une heure.
Une autre vie.