par Stéphanie Eligert
Il y avait une attente toute particulière à lire Jean-Christophe Bailly traiter exclusivement de ce qui forme sans doute la plus belle dimension de son écriture : le sensible – et peut-être aussi, dans une moindre mesure – la sensualité et la forme douce, pudique qu’elle prend chez lui. Même si ce texte s’inscrit dans un format singulier, contraint – c’est une petite conférence donnée à l’attention d’enfants, et suivie de leurs questions au philosophe –, et que Jean-Christophe Bailly amoindrit autant que possible la complexité discursive de sa langue, il n’opère aucune simplification et évite le danger d’un listing empilant la spécificité « technique » de chaque sens. Au contraire, on dirait que chacun est l’occasion d’une dérive où il soulève, au gré d’associations d’idées impromptues, non programmées, des exemples toujours fins et profonds, mêlant sciences et littérature, etc. Mais le plus important est encore que sous son allure anecdotique dans la bibliographie de Jean-Christophe Bailly (ce n’est qu’une petite conférence, pour des enfants « en plus »), ce texte a quelque chose d’essentiel dans la mesure où il transmet, au sens fort, une politique du sensible. Ainsi de cette première phrase, fondant le texte : « les sens sont ce que nous partageons avec les animaux », et qui se poursuit par un renversement immédiat de la hiérarchie dominante puisque Jean-Christophe Bailly commence par décrire le toucher, et, seulement à la fin, la vue. Animalité, toucher : tels sont les deux termes qui ouvrent l’éthique sous-jacente à ce beau livre, et montrent à des enfants que l’intelligence humaine ne se déploie qu’à la condition d’être charnelle, tendue vers le dehors, hypersensible à la moindre variation de l’existence – et de l’existant.