Par Patrice Corbin
Le quatorzième livret de la collection Les cahiers de curiosités, consacré à Roger Gilbert-Lecomte1, est un événement. Roger Gilbert-Lecomte n’est pas de ces poètes que l’on apprivoise, il ne se donne pas, il nous engage, il nous convie mortellement. Celui qui n’est pas né, mais « dévaginé », nous brûle au feu paradoxal de son obscure présence. Fondateur avec Daumal du Grand Jeu2, il en définit la règle : « Le Grand Jeu est irrémédiable ; il ne se joue qu’une fois. » Et c’est par la force des renoncements que s’annonce la détermination : « … toutes les institutions sociales de l’Occident, entièrement pourries, sont dignes de toutes les révolutions ». Cela prend ton de « révélation », l’horrible révélation… la seule, « Entends de tout ton intellect entends, je proclame la dialectique historique du devenir de l’Esprit. » La nuit peut éteindre le feu céleste des étoiles, Monsieur Morphée fait sa tournée, murmurant à l’oreille des consciences molles avortées des ministères, la froideur de la mort dans la vie ; sachez que « Pour un certain nombre d’individus les drogues sont des nécessités inéluctables. » Mort-nés asservis, laissons le silence s’élever « Jusqu’au sommet central de l’intérieur de tout. »
Addenda de Franck Guyon
Marguerite Waknine
« Les cahiers de curiosités »
96 p., 9,00 €
1. Roger Gilbert-Lecomte, Œuvres complètes, Gallimard, vol. I, Proses, édition établie par Marc Thivolet ; vol. II, Poésie, édition établie par Jean Bollery ; la Correspondance du poète, publiée en 1971 aux mêmes éditions, est préfacée par Pierre Minet.
2. La revue Le Grand Jeu paraît dès l’été 1928, suivent deux autres parutions au printemps 1929 et à l’automne 1930. Le projet d’une quatrième édition de la revue à l’automne 1932 reste à l’état d’épreuves. En 1977, les éditions Jean-Michel Place publient l’ensemble de ces documents en un seul volume.