Par Claude Chambard
« Avec le lait, la bave, la boue de consolation – ce qui parle […] comme voix née en la mienne, d’une souffrance plus grande que souffrance […] je devais, Sylvia, ta langue l’engloutir. » Ce raccourci d’un paragraphe de Sylvia me semble absolument contenir ce qu’Antoine Wauters tente ici, surtout si on y ajoute aussitôt : « Maintenir vos yeux, comme clarté pure ou diffuse joie, je dois. » La voix de Sylvia Plath et les yeux de Charles et Armand – les grands-pères – dont « ne reste sur ce lit de mort qu’un visage nu, très pur. Et beau. » La voix et les yeux des morts pour éclairer la vie et la poésie, rien d’autre. Écrire est ce qui demeure quand la mort emporte tout, une mémoire, une façon de continuer le dialogue. Dès lors, on saisit l’entremêlement des voix, la jonction des regards, parce que rien n’est contraire pour qui sait poursuivre l’aventure sans fin, parce qu’ici la mort loin d’effrayer nous donne l’envie d’être encore, de faire passer, de transporter avec soi la vie des autres qui nous aidaient à tenir la nôtre, nous permettaient de grandir, nous donnaient la main et la grâce parfois. Entre les deux grands-pères, Sylvia est le recours, le secours, pour que rien ne s’éteigne, que l’on puisse encore entrapercevoir l’essentiel, dans le livre et en nous longtemps encore.