Par Lorenzo Menoud
Vivre sa vie avec la poésie minimaliste
Si j’étais metteur en scène, je dirais qu’il manque trois pas, deux en avant, un en arrière, avec Anna Karina autour du billard ?, et je ne saurais pas ce que je dis, j’ai pourtant revu Vivre sa vie pour lire Jan Baetens, j’ai pourtant regardé les nuages en moi et les nuages hors de moi, le film de Jean-Luc Godard nous maintenant, ferme, entre le noir et le blanc, j’ai été maçon et grammairien, sondeur et paysan, avec une force que je n’ai pas retrouvée dans cette poésie, trop de contraintes, d’explications peut-être, à s’appuyer sur tout, des discours, de l’histoire, des films, de la peinture, de la BD, des romans, de la poésie, on est vite à bout de souffle, je ne parle pas de lyrisme, nous sommes allés à la même école, Raymond, Francis & co, on est alors forcément déçu, à la fin, elle est morte, on s’y attendait, tous ces petits fondus au noir, comme la vie qui s’en va, les plus belles choses, il y en a, étant les plus directes, je suis franc, j’ai lu Régis et Pour en finir avec la poésie dite minimaliste, trouvant cette fois-ci curieux de vouloir en finir avec un genre, qu’il corresponde ou non à la peinture dont il se revendique, qu’il soit finalement maximaliste ou pas1, les genres n’ayant jamais fait les gens, formule facile, certes, sauf à se placer dans un champ plutôt stérile et une histoire désormais dépassée, me demandant aussi pourquoi la polysémie ne pourrait-elle pas être, parfois, préférable à l’univocité sémantique2 ? Godard, encore lui, empruntant sa formule à Robert Bresson, au début de son histoire du cinéma : « ne va pas montrer / tous les côtés des choses / garde, toi / une marge / d’indéfini »3, je me dis, alarmé par tant de certitude, pensant également aux aphorismes de Wittgenstein, qu’il ne s’agit pas fatalement de paresse, lorsque l’on restreint les mots sur la page, ouvertures que l’on suggère, sans s’y, non ?
1. « En effet, tant la suppression de la syntaxe que le remplacement de la ligne par la page ne sont pas des facteurs de minimalisation, mais au contraire de maximalisation, notamment du sens », Pour en finir avec la poésie dite minimaliste, p. 17.
2. « Le second préjugé sera encore plus dur à éliminer. Il renvoie à la conviction, largement partagée dans notre culture, qu’un excès de sens est préférable à un sens unique », op. cit., p. 21.
3. Histoire(s) du cinéma I, Gallimard, 1998, p. 15 et p. 17. « Ne pas montrer tous les côtés des choses. Marge d’indéfini », Robert Bresson, Notes sur le cinématographe, Gallimard, 1975, p. 107.