Arthur Cravan : Pas Maintenant

 
Par Patrice Corbin

Maintenant pas Maintenant

« Qu’il vienne celui qui se dit semblable à moi que je lui crache à la gueule. » Cravan1 interpelle en même temps qu’il apostrophe, il aime-déteste, parcourt-stagne, il « ne tolère pas qu’on marche sur l’ongle de [son] orteil », il fulmine et s’endort face au rêve. Il rêve dans le rêve de Sophie Treadwell, l’amour fou, la passion inextinguible, celle qui part de loin en loin, laissant le « Terrible Boxeur Boxant avec ses souvenirs et ses mille désirs » comme avant, avec Golpeador dans la danse lancinante d’un multiple flouté. Il lui adresse trente-cinq lettres dont le contenu nous révèle l’emportement et la force d’un désespoir qui le taraude, jusqu’au profond, au plus profond. Ainsi parle-t-il jusqu’à l’écho de sa douleur : « La vie ne vaut pas la peine d’être vécue, mais je vaux la peine de vivre. » Cravan est un exemple de ce que Rimbaud appelait « la liberté libre », il est sur le sol comme un virtuose de ce qui reste d’inachèvement, il est ce bouillonnement de la vague qui déchire l’océan pour l’engloutir dans le golfe du Tehuantepec à l’automne 1918. Il est ce suicidé de la société2 à l’instar de Rigaut, l’excentré magnifique, de Vaché, expert dans la désertion à l’intérieur de soi-même. Les Éditions Cent Pages ont réalisé un véritable chef-d’œuvre typographique, un livre tiroir, boîte à lettres, une commode de l’esprit où l’on fouille, où l’on trouve missives, dessins, fac-similés et photographies. Cette édition nous offre une proximité avec ce lointain que questionnent encore quelques noctambules aveuglés de Lune noire. Ce livre doit passer entre toutes les mains, sans oublier les manchots. Aussi faut-il se rendre à l’évidence et entendre cet avertissement de Cravan : « Il y a danger pour le corps à lire mes livres » ou encore : « Je suis brute à me donner un coup de poing dans les dents, subtil jusqu’à la neurasthénie… »




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Édition préparée et annotée par Bertrand Lacarelle
Cent Pages
256 p., 40,00 €

couverture

1. Arthur Cravan, Œuvres, Éditions Ivrea, 1992.

2. Trois suicidés de la société, Cravan, Rigaut, Vaché, éditions 10/18, 1974.