Par Agnès Baillieu
Les noms du poète et de son « traducteur » sont mis en valeur par l’encre rouge en couverture. Sur la page de garde, on pourrait bien ne voir qu’elle : « Écrits comme un tombeau pour Wera Ouckama Knoop » (la jeune fille était faite pour l’art, elle est morte. Rilke envoie à sa mère, en février-mars 1922, les vingt-six sonnets qui lui ont été « offerts » en quelques jours et qui constituent la première partie du recueil, quelque temps après avoir précisé dans une lettre : « Mais pour moi, ce fut comme un engagement immense envers ce que j’ai de plus intime, de plus grave et… de plus bienheureux d’avoir pu recevoir ces feuilles au premier soir d’une nouvelle année. » La jeune fille entrée dans la mort s’intègre dans le Tout comme le chant d’Orphée.) La poésie serait là comme l’expression (?) d’une certaine expérience de l’âme (?), une réconciliation, pour reprendre le mot de maints commentateurs, de la vie et de la mort. Sur les pages de gauche, les numéros des sonnets ; à droite, le texte français, rien d’autre (le lecteur est invité à s’orienter longuement, si l’on peut dire ; vingt-six sonnets, autant de tête-à-tête). Roger Lewinter connaît Rilke depuis longtemps (voir, en priorité, le Dossier Roger Lewinter de CCP 4, 2002, et En cours de phrase, entretiens avec Alain Berset, Héros-Limite, 2002). Traduction certes puisqu’un sens est là, rendu, mais surtout « restitution métrique », dont on se dit dès la première lecture, qu’elle fait plus que se mouler sur l’original. Sans polissage artificiel des aspérités des vers allemands, restitution du mètre (voir par exemple le décompte des syllabes jusqu’au mot à mot), du « phrasé » et donc de la respiration. Par rapport à la traduction (donnée comme telle) que Roger Lewinter avait fait paraître en 1989 (Gérard Lebovici éd.) : resserrement, « rapprochement » extrême de l’original, signes de ponctuation (virgules) nombreux… Pour le coup, « traduction » majeure d’une œuvre que l’on pouvait croire bien connaître.