Par Régis Lefort
Donne-moi ton enfance s’adresse à l’ami Jillali mais aussi « à n’importe quel autre lecteur ». Le poète souhaite « mêler [les] enfances, par le moyen de poèmes ». Dès le titre, il faut sans doute voir davantage une main tendue qu’une injonction, une timidité plus qu’une appropriation pour « dire tout le fragile et le ténu que c’est l’enfance ». Il s’agit de se remémorer l’enfance pour que chaque lecteur à son tour se remémore la sienne, comme « ça qui passe », pour savoir d’où on vient. Peut-être faut-il également considérer « le poème comme une trace de ce qui va venir » en ce sens qu’il tient en lui la rencontre future. Chaque mot appelle. Le poète fait « un geste sans y penser », un « geste de mots », un geste de langue, selon l’expression de James Sacré, qui est comme une « façon de tourner sa phrase ». Il espère que le lecteur viendra au lieu des « solitudes grandies », au lieu de la rencontre, et qu’il y trouvera l’amitié. Mais la langue ne parvient pas bien à dire l’enfance ou le souvenir, car il y a « comme un trouble dans les mots ». Et parfois, les quelques mots venus, « on finit / Par les avoir inventés ». C’est comme « On s’imagine… » Finalement, du propre aveu du poète, « Donne-moi ton enfance / Est comme un cri perdu / Au fond de ce qui vient. » Le corps cherche à éprouver un autre corps, un corps de poème, un corps « d’avant tout souvenir », un corps originel.
Dans le droit fil d’America solitudes, publié en 2010, Ne sont-elles qu’images muettes et regards qu’on ne comprend pas ? égrène non pas les jours, ou pas exactement, mais a pour objet de saisir l’espace-temps. Chaque poème est né de cartes postales achetées lors de voyages aux États-Unis. Le poète essaie de rassembler, ramasser dans le poème, les voyages, les objets, les femmes navajos rencontrées, les lieux, les couleurs. Il essaie de rester vivant où le verbe respire, il répète deux mots, il fait un geste de langue. James Sacré possède cette élégance discrète « où l’amour est un geste éperdu ».