Giorgio Caproni : L’œuvre poétique

 
Par Pierre Parlant

Publiée et traduite en partie depuis les années 80, notamment chez Maurice Nadeau, Champ Vallon, Fourbis ou La Feugraie, voici désormais l’œuvre poétique complète disponible en un seul volume. On s’en réjouit d’autant plus que l’ensemble est passionnant, proposé dans une reprise d’éditions aujourd’hui introuvables ou en traductions inédites, et présenté et annoté de façon efficace et précise. Né à Livourne en 1912, mort en 1990, Giorgio Caproni, poète-musicien, appartient à la génération de Sereni, Luzi, Zanzotto, laquelle s’inscrit dans l’histoire de la poésie italienne contemporaine à la suite de Montale, Ungaretti et Saba. Amorcée dès les années 30, l’œuvre est riche et singulière à plus d’un titre. Attentive à l’inscription populaire du dire poétique – proche ici de Pasolini qui sut la reconnaître –, autant qu’à l’héritage de la tradition la plus érudite, cette poésie, dont la teneur souvent tragique est constamment habitée par un profond « sentiment géographique » (Chaillou) lié à Livourne, à Gênes, au rivage ligure ou à la haute vallée de la Trébie, a su repenser à nouveaux frais le sonnet ou la canzone, se garder d’un certain hermétisme mais emprunter aussi à la musique (notamment au Freischütz de Weber) pour déployer une méditation sur l’expérience subjective, particulièrement celle du deuil, sans jamais perdre de vue le fracas de l’Histoire. La notion d’ « athéologie » a plus d’une fois été sollicitée pour rendre compte de ce parcours poétique. Pour éviter tout malentendu à ce sujet – Agamben l’avait remarqué à propos de Res amissa (la chose perdue), recueil posthume publié en 1991 par le philosophe –, cette détermination, loin de procéder d’une forme de pathos, relève d’une expérience qu’on pourrait dire dégrisée puisqu’elle consiste à penser son rapport au monde sous l’invocation paradoxale d’un dieu absent. Nul nihilisme ici, mais, quelquefois, une sainte colère qui sait se renverser en une âpre contemplation : « De l’île de Bergerri / au Cap Noli brume / Ce matin la mer est plate / comme mon athéologie ».




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Édition établie et présentée par Isabelle Lavergne et Jean-Yves Masson
Traduit de l’italien par Isabelle Lavergne et Jean-Yves Masson, Philippe Renard et Bernard Simeone
Galaade
1024 p., 45,00 €

couverture