« Sorcier vivant dans sa prairie »

Dans ma prairie est le texte d’un ancien enfant « indien », pieds nus sur sa terre sacrée, qui évoque dans un lyrisme violent le désir du retour, les larmes que suscitent le temps qui passe, l’enfance et les amours perdues, la solitude… Texte superbe, mélopée contre le vent, portée par les héros mythologiques, la Prairie de Frédéric Boyer est habitée d’une force presque chamanique. Ce poème en prose, poignant, dit l’extrême proximité avec une nature profondément habitée. On se souvient de Vaches, ce texte bouleversant. Ici « L’Être des herbes » côtoie « l’Être lapin », celui « des petites choses vivantes ». De même cette prairie est habitée de toute l’existence de « Quand j’étais seul comme un petit scarabée noir ». Tant d’aveux affleurent : « je ne sais pas me reposer », « ce qui fait battre mon cœur c’est ce que je vois de ma prairie non ce qu’elle cache » « Non. Ne cueille rien dans ma prairie. Ne touche à rien s’il te plaît » et l’écho de Mes amis mes amis : « Amis, ne partez pas. Il ne faut pas me laisser seul ici »…

Paraît également Je pleure encore chaque fois que j’y pense, un texte écrit à partir de photos. Frédéric Boyer n’a pas vu la pièce montée par Éric Vigner sur un texte de Christophe Honoré, il n’a vu que ces photos prises, corps de jeunes gens jouant au football, sensuels et dangereux. Scènes successives, dans le sable ou la neige, qui évoquent petit à petit un meurtre. Frédéric Boyer en tire un texte déchirant sur la jeunesse : « on ne peut rien faire d’autre que chanceler derrière elle », la jeunesse, cet état inconscient, victorieux, menacé. La nostalgie est immense, bien sûr « c’était le paradis » même si bien sûr c’est faux. Ce qui hante le texte, c’est à la fois la perte de cette jeunesse, l’innocence et la faute, et pire que la faute, l’assassinat. Pasolini rôde sur ce terrain où s’affrontent ces corps jeunes, solitaires, furieux. La mort rouvre toutes les blessures… Ici encore le lyrisme est violent sans pourtant que jamais n’arrive un mot de trop.

Amis, ne laissons jamais seul cet homme qui écrit comme un dieu et pleure comme un enfant.