Cahiers Maurice Blanchot

 
Par Siegfried Plümper-Hüttenbrink

On a pu faire grief à Maurice Blanchot d’une pensée qui se ressasse et privilégie la voie de la négativité, mais en oubliant qu’elle peut tout aussi bien s’entrouvrir à une affirmation sidérante de l’immémorial et qui échappe à toute mémoire humaine. Le lire est certes piégeant. Certains, comme Bernard Noël, vont jusqu’à dire que ses récits tiennent leur lecteur en otage, le traitant à l’instar d’une proie. Et Michel Butor fut un des premiers à desceller dans son écriture d’essayiste une syntaxe qui tourne en permanence sur elle-même à l’image du nœud borroméen et qui nous contraint à ne parler de lui que par voie de paraphrase, en recourant à ses mots clefs. Quant à son visage qu’il prit soin de ne pas livrer en public, voilà qu’il trône depuis peu en toute souveraineté sur la couverture du numéro que les Cahiers de l’Herne viennent de lui consacrer. On y voit un crâne plus qu’un visage, et où perce le sourire sardonique d’un croque-mort. On sait aussi depuis un certain nombre d’années que son parcours politique dut malencontreusement transiter par l’extrême droite maurassienne, avec à l’appui des exhortations d’incendiaire appelant à la sauvegarde d’une France mythique, et pour pactiser ensuite avec l’extrême gauche soixante-huitarde dans un soulèvement anonyme des voix.
Le numéro 2 des Cahiers éponymes qui sont voués à sa mémoire, tente de faire retour sur un penseur « nomade » qui n’a pas craint en matière politique de se risquer aux antipodes, et sous l’emprise d’une vocation toute aussi vaine qu’irréfléchie de tendre aux extrêmes en ce qu’ils sont inconciliables.
Une première section de ce numéro d’hiver 2013 / 2014 nous propose un vibrant hommage collectif à Monique Antelme, décédée il y a peu, compagne quasi sororale de Maurice Blanchot dès les années 60, et qui eut toute sa vie durant l’inflexible conviction qu’« il faut vivre malgré tout, et en dépit de tout ».
Une seconde section tente par diverses contributions d’appréhender un « devenir juif » tel que Maurice Blanchot dut le vivre dans le sillage de ces frères en esprit que lui furent Franz Kafka, Emmanuel Levinas, Edmond Jabès et Jacques Derrida. Dans son intervention, révélante à plus d’un titre, David Banon voit dès la lecture talmudique que Maurice Blanchot dut opérer de Kafka une judéité à l’œuvre dont on ne sait si elle fut réelle ou fantasmée, et qui se définit par les idées de déracinement, d’exil et d’errance qui sont inhérentes à la pensée blanchotienne. Il rappelle que le peuple juif ne doit en aucun cas donner prise à l’enracinement pour sauvegarder sa mobilité et sa diaspora, selon le sens même de la charte lévitique.
Une troisième section est consacrée entre autre à la relation entre Maurice Blanchot et Michel Leiris, et à la fascination commune qu’ils eurent pour l’« autre nuit », doublée du désir de se regarder pour mort.
Enfin Pascal Gibourg part sur les traces du « penseur nomade » et pour qui le tournant langagier que fut aussi Mai 68 en appelait à une parole anonyme et collective dont tout porte à croire qu’il faille en faire à jamais son deuil par les temps qui courent où la sacro-sainte notoriété auctoriale fait plus que jamais florès.




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N° 2
Les Presses du réel
156 p., 17,00 €

couverture