Par Gérard-Georges Lemaire
Il ne s’agit pas ici d’une œuvre conçue par Borges, mais d’une anthologie. Ce n’est d’ailleurs pas une si mauvaise idée que cela. Cela permet à un lecteur connaissant peu les travaux de ce formidable auteur argentin d’entrer dans son univers par une bien jolie porte. Il n’y a pas que des poésies dans ce petit volume, mais aussi des proses qui sont peut-être les plus belles qu’il ait écrites sur ce sujet. Pour cet homme, qui s’est passionné pour le tango et qui a même écrit des chansons pour cette musique et cette danse du Rio de la Plata, l’amour a un caractère malin et parfois dangereux. En fait tous les textes réunis ici, à de rares exceptions, sont des questionnements sur les raisons de l’amour, sur ce qu’il peut apporter de faste à l’un ou à l’autre, à l’amant et à l’aimée. C’est tout l’inverse de Pablo Neruda, qui s’exalte et fait chanter les sentiments. Bien sûr Borges manifeste des moments de tendresse et d’abandon. Mais c’est le sens de la relation que l’amour engendre qui est le véritable sujet de ses méditations. Borges est un amoureux un peu mélancolique et un peu sceptique, mais qui sait que le jeu finira toujours par avoir raison de lui, malgré tout ce qui peut l’en éloigner. En réalité, peu de poètes ont écrit des poèmes de ce style car les uns déplorent l’amour perdu ou impossible, les autres chantent son triomphe. Lui, il couche sur le papier ces mots : « Toi mon infortune / Et ma fortune, inépuisable et pure. »