par Ludovic Degroote
La Conscience : titre qui laisserait entendre un ouvrage philosophique à portée phénoménologique, morale, voire politique, si l’on n’était chez un éditeur dont ce n’est pas la spécialité, non plus que son auteur. S’agit-il d’un état, d’une façon de vivre, d’aborder la réalité du monde ou de soi, de la traverser, de se mettre en action ? Il y a de tout cela dans le livre d’Hubert Lucot et plus encore, dans la mesure où tenter de le définir réduirait l’espace de ses intentions1. « La conscience face à l’objet, la violence en moi, la considération de l’énergie que j’ai déployée pendant un demi-siècle ont alimenté les débuts du livre La Conscience il y a quatre mois » lit-on page 33. De fait, ce livre passe au tamis d’un présent de deux années (automne 2013-été 2015) un passé de près de quatre-vingts ans2, à travers des sortes de flux qui se croisent et fabriquent un « système à nœuds » (p. 158). Personnes, anecdotes, souvenirs, lectures et films, ouvrages publiés par exemple, tissent une trame en perpétuel mouvement, puisqu’ils rebondissent contre le présent, ou inversement celui-ci contre eux, grâce à une écriture qui se veut « durcir par allégement » (p. 187), sans chercher à conceptualiser. « J’aime opérer des soudures dans le temps » assure Lucot page 181. Écrivant au plus près de ce qu’il vit, impressions, sensations, bistrots et restaurants inclus, Lucot se fait diariste, chroniqueur, mémorialiste à l’échelle d’une existence ou plutôt d’une conscience, la sienne. Ainsi le caractère autobiographique domine, et se cheville à des éléments structurels : « A. M. », la femme aimée durant cinquante ans et morte, le cercle familial – qui tourne plus ou moins rond –, les amis, la maladie, le vieillissement, la littérature, le monde qui va mal, mais aussi la géographie de l’auteur, spatiale ou intime, dont Paris forme l’épicentre : « ma ville » (p. 399), que l’auteur ne cesse de parcourir comme si cela ouvrait sa vie, en bus, en tramway, à pied, c’est-à-dire à l’air libre. Manière d’entrer en contact avec la diversité des hommes qui peuplent cette ville, figures du monde littéraire ou inconnus dont la variété célébrée des origines témoigne d’un engagement politique. Au fil de certains événements, tels que des problèmes de santé, l’attentat à Charlie Hebdo ou la maladie d’un proche, le livre se fait plus narratif mais ne perd jamais l’occasion de mettre à distance les faits à l’épreuve d’une vie ou plutôt d’une conscience qui ne cède pas au nombrilisme ou aux sirènes des modes. À l’air libre, donc : cela fait du bien.
416 p., 22,00 €
1. À l’image des deux précédents titres que l’auteur évoque, Je vais, je vis (P.O.L, 2013) et Sonatines de deuil (P.O.L, 2015), liés à la maladie et la mort de son épouse et de sa sœur ; ce dernier a paru durant la rédaction de La Conscience (cf. chapitres IX et X).
2. Hubert Lucot est mort en janvier 2017, quelques mois après la publication de cet ouvrage.