par Yves Boudier
« Hors-jeu, à la marge. La vie, décidément, est sans modèle »
La lecture de ce volume l’est aussi, tant les voix, les écritures se conjuguent, certes avec l’intention affirmée par le poète lui-même de jouer à la fois du poème et du commentaire, mais à travers le renvoi d’échos multiples, donnant une présence étrange à ces rémanences croisées d’une parole écrite et partagée entre prose et vers, une parole qui se joue des intervalles de silence, qui parfois semble les combler et qui conduit le lecteur, peu à peu, en requérant sa bienveillance (un lecteur benevolens), au centre d’une mosaïque sensible, panthéiste en trompe l’œil. Ici, tout se gagne dans le rythme d’un poème qui se reprend à mesure qu’il s’écrit dans un jeu subtil de brèves questions, à peine questions d’ailleurs, davantage énoncés relevant d’un usage faussement naïf du mode interrogatif dont l’humour permet au lecteur d’accepter de se laisser entraîner par cette ronde spiralée d’une célébration, in-quiète mais heureuse, de l’espace naturel pour lequel nous sommes ainsi rendus sensibles aux multiples confluences que la culture humaine entretient avec le monde, celui qui nous interdit de songer aux gestes les plus noirs sans toutefois prévenir d’un passage à l’acte.
Le poème circule dans la page, s’y déploie, définit ses silences, ses blancs graphiques, autant de signes et de manières de faire respirer le sens sans le saturer, de lui offrir un jeu apparent d’équivoques grâce auquel le lecteur ressent paradoxalement le sentiment subtil et précis d’une émotion fondée sur un voisinage affectueux né du partage consenti d’une quête intime, celle de nommer, de trouver les mots pour cerner ce « hors » du poème et de l’existence.
Et l’on découvre peu à peu le pessimisme d’un poète, nourri de son attache profonde aux êtres, aux situations plus qu’aux choses données, mais un pessimisme joyeux, hanté plus que gouverné par la présence discrète d’un conditionnel, histoire de ne pas fermer tout à fait la porte d’un avenir partagé, de laisser ouvert l’espace où doit se dérouler « cette guerre des souffles », prélude à une suite à paraître sur laquelle nous reviendrons bientôt, (Ombre attachée – à bouche sanglante), sûrement pour parvenir à « [le] dire enfin de plain-pied, de face : face-dignité –je vous reçois et je vous donne ».
104 p., 14,00 €