par Sébastien Goffinet
« Merde ! mais il s’est tiré, l’animal ! »
Cette monographie de la rétrospective consacrée aux photographies de Denis Roche l’automne dernier à Montpellier, comprend deux textes. Celui de Gilles Mora, introduction documentée au travail photographique de Denis, est plutôt maladroit dans son approche des relations entre les Denis Roche, l’un qui écrit, l’autre qui photographie. Dans son désir d’exalter la seule pratique photographique, il en vient même à dénigrer les DST, preuve de sa méconnaissance de ce que Denis a fait subir à la littérature.
Virevoltant et délicat, comme un vol de gerfauts hors de la bave natale, il y a enfin le texte de Denis, Mille retours : un centon en prose où se glissent quelques phrases de lui, sans qu’il soit possible d’attribuer tel emprunt à tel ou tel auteur, dont sa facétie dresse, à la fin, la liste, dans laquelle il prend la malice de s’inclure. Ultime pirouette ainsi, à double hélice : Denis se fait humble en dépersonnalisant sa prose, mais en même temps, il se donne comme écrivain au même titre que ceux qu’il convoque, prenant ainsi place dans cet aréopage planétaire où figurent entre autres Faulkner, Apollinaire, Pavese, de Quincey, Shônagon, Quignard, Thoreau, …
Denis savait que Mille retours constituerait son dernier texte et il semble que, comme à son habitude, il en ait disposé sciemment tous les éléments, sachant à l’avance, parce que l’ayant ainsi anticipé, voire guidé, dirigé, ce qui s’écrirait sur ce centon. Cela me rappelle le sujet du doctorat que Bertrand Verdier avait commencé à rédiger sur Denis et qui avait pour titre : « Denis Roche par lui-même par moi-même » : il y voulait en effet étudier et montrer comment Denis avait toujours au moins un coup d’avance sur ses lecteurs, quels qu’ils fussent, et qu’il forçait leurs coups, s’en délectant en fin stratège qu’il demeura toujours.
De Bertrand Verdier – de qui je tente modestement de poursuivre numériquement la revue papier Axolotl-Cahiers Denis Roche
(https://www.facebook.com/groups/axolotl.denis.roche/
et https://axolotldenisroche.wordpress.com/)
j’avais reçu une longue lettre, le lendemain de l’article dans Le Monde intitulé « Une femme disparaît », datée de « Cabourg, le 13 octobre 2005 » où il m’exposait que son Voyage, qui serait le dernier, ne se résumait pas seulement à une « errance amoureuse » comme l’avait qualifié Le Monde, mais que Séverine et lui se laissaient également inspirer par les légendes de Notre antéfixe, qu’il avait absolument tenu à prendre en partant de Carnac, lieu déjà rochien, qu’il avait choisi précisément parce que rochien. « Séverine et moi sommes comme aimantés, pas seulement l’un par l’autre, mais aussi par les lieux de Denis, que tout notre plaisir réside dans le fait de découvrir ensemble. Ainsi, Nous n’avons erré qu’aux yeux de ceux qui ne connaissent pas le travail de Denis : la réalité est que tout, pour Nous a commencé à Carnac, que Nous serons demain en Italie à Varèse, et qu’entre temps les roues de notre éminemment durassienne Lancia Nous ont menés à Brignogan, à Saint-Gilles-du-Gard, à Lattes, Place des Vosges, à Villiers, aux Sables-d’Olonne ». Bertrand n’aura su, hélas, aller à Pont-de-Monvert, au cimetière que cette monographie avec un quadriptyque photolalique rend définitivement rochien au point que Denis a souhaité qu’y soient dispersées ses cendres.