par Sébastien Hoët
Guy Viarre fut le poète le plus talentueux de sa génération. Fidèle à une nécessité existentielle qui se confondait entièrement avec la poésie, il mit fin à ses jours à l’âge de trente ans, en 2001, laissant une caisse de tapuscrits dont les éditions Fissile proposent ici un volume cohérent et poignant. Cédric Demangeot, éditeur et ami du poète, l’écrit de façon décisive en préface de Tautologie une : on ne saurait lire l’œuvre de Guy Viarre en faisant abstraction du suicide qui l’interrompit brutalement, ce suicide ne fut pas le terme mis volontairement à une existence affaiblie ou tragique mais la dimension complète, non voulue, de cette existence vécue comme impossible pour elle-même – « Guy Viarre est de ceux pour qui vivre n’est pas viable »1. L’écriture de Guy Viarre porte en soi, dans sa cassure concrète, sa hachure interne, sa matité, la connaissance de cette évidence et elle ne cesse d’y sombrer tout en la projetant à son horizon, naufrage interminable, incessant : « Il faut que la forme aille par le fond » écrit ainsi le poète dans Description du petit. Dans Invitus invitam il ajoute, par-delà la mort, comme enfin naufragé et arraché à lui-même : « on ne peut plus rien faire / il n’avait qu’à vivre » (p. 32). Guy Viarre ne nous aide pas à apprivoiser la mort, il s’agit toujours de vivre, sans pulsion morbide mais impossiblement : « toute psychologie devant s’effacer le rapport au / monde étant suffisant » (p. 132). Pas de fuite hors du monde, de consolation, mais la persistance du rien, la répétition de l’ici comme néant, pas d’évasion si ce n’est la liquéfaction sur place : « solution du mort : dissolution » (p. 114), pas de destinataire pour l’écriture – « ne parle à personne dans ton livre – il y a déjà ta / quantité muette » mais la tautologie de l’écrivain qui écrit, sans raison : « Comprendre un jour que l’écriture ne nous / regarde pas » est-il répété (p. 33 et 184). C’est un mur que cette œuvre, dur comme un os, une dent, dans la nuit « noire et blanche » où s’enfuit Nerval2.
1. Cédric Demangeot in Guy Viarre, Tautologie une & autres textes, Flammarion, 2009, p. 12. Cet ouvrage important est un des premiers états du chantier de l’œuvre posthume de Guy Viarre.
2. On attend avec impatience la publication de la monographie que Victor Martinez écrit actuellement sur Viarre.