par Agnès Baillieu
La Haine de la littérature, qu’on lit dans le prolongement de L’Adieu à la littérature (même éditeur, 2005), a été commentée dans la presse ; elle souligne à son tour les obsessions du discours antilittéraire, de Platon à qui vous savez, dans une belle continuité des quatre procès contre la littérature (autorité, vérité, moralité, société). Il importe surtout de relever que, si cette antilittérature est relativement minoritaire, elle constitue un danger permanent, du « simple » refus de lire aux diatribes les plus imbéciles ; d’autre part que ce danger n’est en rien atténué par le fait que le discours antilittéraire innove peu depuis l’Antiquité ; enfin que paradoxalement « l’antilittérature affirme l’existence de ce à quoi elle s’oppose ». Cet essai plein d’humour offre en outre des références inattendues, peut-être oubliées ou mal connues (sauf des lettrés ?), ainsi à la fin des années 1880, la visite du jeune Maurras, intimidé, au salon de Mme de Caillavet dont l’hôte d’honneur était Renan. Maurras de confier à ce dernier son admiration pour la Prière sur l’Acropole : rire inextinguible de Renan, rire antilittéraire… Déjà dans Vie du lettré – même érudition, même exigence de l’universitaire historien de la littérature – William Marx interrogeait le danger que représentent les livres (par exemple au détour d’une analyse du Saint Augustin de Carpaccio) ou relevait la haine, peut-être inconsciente, des livres, qui anime certains exégètes (voir l’interprétation – la lecture – du tableau de Juan Do, Un maître et son élève). Le lettré, ce « mythe fondateur des civilisations à écriture », naît, habite une maison, se querelle… « La vie comme œuvre », note Barthes. Mais les aspects « matériels » de sa vie n’épuisent pas son portrait : il n’appartient au monde qu’en apparence, « l’essentiel est dans le retrait ». Et d’ailleurs il ne meurt pas.