par Sébastien Hoët
Leopoldo Castilla est un poète argentin, marionnettiste de son état, qui vit aujourd’hui en Espagne après avoir fui la dictature militaire en 1976. La lecture de ce recueil laisse pantois : pourquoi Castilla n’est-il pas connu, à l’instar d’un Gamoneda, comme une des très grandes autorités de la poésie européenne ? Manada est écrasant par l’ampleur de la voix qui y tonne, la puissance incantatoire du verbe qui y embrasse le monde – du plasma primitif au dernier homme, au dernier être, à la première rosée qui tombe à la Fin, où se signe l’éternelle renaissance du Tout. On ne sait pas toujours qui parle dans le recueil : « Je survole la terre / la frissonne / comme une pluie qui n’est pas encore tombée / je flaire le monde comme une proie (…) Je suis un signe / je dois allaiter ma mère / puis retourner au soleil » (Poème IV) mais l’égarement est obligé au sein du Tout, de la Nature, qui parle et nous inscrit, nous les hommes, comme de misérables points où ce Tout, cette Nature, se concentre pourtant, où Il / Elle meurt avec chaque mourant : « La mort est une seconde / qui n’a pas de lieu // Il ne saura pas qu’il fut ici. Que le temps s’est tué pour le tuer » (XLV). Il faut saluer le travail des traducteurs qui restituent fidèlement cette voix dont on trouverait difficilement l’équivalent en France aujourd’hui.