Michaël Batalla : Poésie possible

 
par David Lespiau

Contre-formes

Quatorze séquences – écrites entre 2006 et 2014, certaines parues en revue –  ouvrent ici un espace de travail entre recherche poétique et critique politique, tremblé dans l’expérimentation formelle. Organisations très diverses de vers essentiellement, mais à la spécificité presque continue : texte grêlé par une multiplication de signes typographiques, ponctuation en l’air, traces de forces et de doutes, de possibilités exprimées visuellement, ou étincelles d’événements rythmiques – « Le cœur cogne n’importe comment » – en suspens ; et de fréquents changements de corps – mots devenant des exposants d’autres mots, notamment – pour des effets de sons (murmure, voix off), de champ (arrière-plan, autre plan), de sens (annotation, sous-titrage, commentaire)… Le tout en interférences continues, vers par vers, comme une compression de temps mentaux différents – « Typographier les fonds de pensée » – vécus pendant l’énonciation, qui en devient vibrante, souvent drôle, et théorique, coupante. Travail de tri dans la saturation des discours (différences de régimes, de registres), de réagencement, de réarticulation, de mises en résonance. Travail du langage particulièrement politique quand l’attention est donnée aux gestes et aux discours d’organisation et de contrôle de la société – flux migratoire, police urbaine, emploi, cartographie, toponymie –, observés, recopiés, remaniés, passés au filtre de l’écriture de recherche ; intégrant l’auteur dans des actes et des épisodes vécus puis critiqués, y compris sa part d’impuissance. Le projet, le déplacement, l’observation, la dérive – à travers une zone surveillée ou abandonnée, une ville, une forêt… – ont précédé l’écriture, et le je est bougé, testé, déséquilibré, enregistré, parfois même chronométré, pour être repris dans les récits qui traversent le livre. Récit qui réécrit le problème – politique, puis purement phénoménologique ; la perception comme donnée commune perpétuellement analysée – autrement, esquissant moins sa solution que sa recomposition possible ; une recomposition individuelle qui pourrait avoir valeur de preuve, de test, ou d’arme – ce que permet la pensée. Le livre s’ouvre sur l’analyse d’un contrôle policier puis le parcours vers un centre de rétention administratif ; se poursuit sur une série d’expériences de déambulation à travers textes et espaces physiques ; se conclut sur un envoi, un vif art poétique personnel, dont les séquences qui précèdent réapparaissent comme les jalons ; sans aucune lourdeur, une réflexivité ironique étant souvent présente dans ces formes et cette théorie in progress, qui redonnent à lire – vivre – un présent à la fois interrogé, allégé, réouvert.




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Nous
208 p., 20,00 €
couverture