par Alexandre Ponsart
Sous une couverture orange, trois « parties » viennent structurer ce recueil de poésie : « Le Rapt » lui-même composé de quarante petits poèmes, « Le semainier » et « le pain des lettres ». Le texte en arabe fait face à sa traduction française, pour « Le Rapt » et « le pain des lettres », donnant ainsi une force supplémentaire à l’histoire. Histoire que, par malheur, de trop nombreuses femmes ont connue où connaissent encore.
À travers ce neuvième ouvrage Maram al-Masri nous livre un moment clé de son passé. Par une écriture poétique simple, épurée, l’auteur décrit l’enlèvement de son fils âgé de 18 mois par son père. La poussette de mon petit n’est pas revenue (…) ils l’ont arraché à mes bras / j’ai cessé de chanter. Ce ils c’est le père et la famille paternelle. Il faudra attendre treize ans pour qu’une première rencontre ait lieu. Tu as grandi de treize ans / et ta bouche / est pleine de dents / tes vêtements que j’ai gardés ne te vont plus. Les mots sont ceux d’une mère-femme / femme-mère que la vie a séparé de son enfant et qui se retrouve condamnée au chagrin, au silence. Ici, le langage poétique permet de donner une valeur universelle à la souffrance de cette mère, de ces mères amputées.
Mais avant cet arrachement, le poème débute par l’évocation d’une vie à naître. Neuf mois / et la vie pousse dans les entrailles / comme un poème pousse dans l’imagination / neuf mois / pour qu’un cœur palpite / neuf mois / pour qu’une vie commence. C’est la vie, les premiers mots et les premiers pas chancelants. Tu marches en hésitant / comme un canard / tu tombes et te relèves / on réessaye / on tombe, on se relève. Et puis, c’est l’enlèvement et l’entrée en guerre. Depuis qu’on t’a enlevé / la guerre est en moi. Guerre des mots, aussi. L’auteur fait de ce tragique instant l’acte fondateur de sa vie d’écrivain. Comme afin de continuer sur la nécessité d’écrire, le deuxième texte, « Le semainier », témoigne de sa difficile lutte pour arriver à écrire et surtout et avant tout, pour le droit d’avoir une nouvelle vie. Avec le dernier texte entièrement dédié à l’écriture, Maram al-Masri fait la démonstration de toute la force de son écriture poétique. L’acte d’écrire / n’est-il pas un acte scandaleux en soi ? / écrire / c’est apprendre à se connaître dans ses pensées / les plus intimes / oui je suis scandaleuse / car je montre ma vérité et ma nudité de femme (…) écrire / c’est vivre sur le bord d’une falaise / et s’accrocher à un brin / d’herbe.
C’est donc un ouvrage sensible où l’humanité est mise à nue avec ses beautés, ses laideurs, ses bontés et ses cruautés. Écrire c’est rendre compte de cette (in)humanité.
Mon seul regret est de ne pas les avoir entendus en arabe car cette langue doit donner une magnifique musicalité et profondeur à ces poèmes.