par Alain Cressan
« Poèmes », au pluriel, nous indique la couverture d’un rouge tomate qui redouble le double sens du titre : le cœur comme symbole d’un lyrisme naïf, et le fruit du potager, dont on découpe le centre de chair (« de cœur en cube et dé à rouler »). Et c’est ainsi que d’emblée, voici « ta langue re / retournée », prise dans un corps, une matière de cuisine lexicale.
Le texte avance dans ce principe d’une langue-objet, par allitération, paronymie, anagrammes, contraintes souples mettant à distance le sujet écrivant, procédé qui donne du jeu à la lecture. Ironie (« Scouic » est le titre de la seconde section, et une pointe finale clôt souvent chacun des « poèmes ») mais pas seulement, dans ce découpage formel posant aussi sur scène le corps de l’exécutant qui parle en se dédoublant dans les pronoms « je / tu », embrayeurs vides mais points cardinaux de l’indécision du lecteur : « ta gueule / pense un peu […] langue / sort de ce corps ». Cette « gueule » est aussi celle des chiens qui s’itèrent d’un bout à l’autre du livre, « dorment mordent dorm / ordent dans l’inconscient ». Un texte kaléidoscope, avec des jeux de miroirs bruts très fins : « corps bête territoire / arbitraire / rappât ».