par Siegfried Plümper-Hüttenbrink
Il y a ce triple coup de dés du titre. Ces trois syllabes, en vue de conjurer on ne sait quel sortilège qui les fait s’inverser en miroir, sur la diagonale du fou.
À 80° 85’ de longitude et 25° 25’ de latitude, kanaka est un site dévasté, presque injoignable, en état de guerre tout alentour. Les mots qui y mènent sont autant de signes de survie. Il faut les trouver en s’aidant des aléas du sol. Et pour dire avec eux ce transit incessant qui les fait passer en ceci qui donnera cela, d’ici à là-bas, au gré de leur permutation. Car tout n’est là qu’à titre indicatif, hypothétiquement, et de passage. Comme si Kanaka restait à inventer à l’instar de ces trous noirs qui s’avèrent d’étranges attracteurs.
Jean-Jacques Viton s’y emploie. En reporter, à même le terrain, et selon une lecture géomancique, il enregistre, fait des relevés au hasard de leur venue. Comme ça vient et en passant son chemin. Il recopie et rapporte en vrac, sous forme d’instantanés, les vestiges lacunaires, quasi sismiques, que laisse l’exode.
Défait, saccagé, sinistré, tout devient méconnaissable. Même les personnes se spectralisent, silhouettes muettes égarées en des scènes qu’on ne saurait tirer au clair.
Face à cette défection où plus rien ne fait lien et encore moins sens, écrire revient à s’entêter, à répéter les mêmes mots tout en les changeant de place. Et traverser ainsi maints passages à vide qu’on ne saurait combler. Le tout étant d’apprendre à marcher sur le hasard, de miser sur son intervention, révélante et césurante tout à la fois. Sachant qu’il peut élire n’importe quel objet comme sauf-conduit pour entrer ou sortir de ce kaléidoscope de la dévastitude qu’est Kanaka.
— Article publié dans CCP n°13, 2007.