par Tristan Hordé
Un poème en exergue permet de construire une continuité (une unité) entre les livres de Bénazet ; il y est question, d’une autre manière que dans La vie des noms (2013), de la langue « divisée », « appauvrie à ses lettres » : lettres « d’un amour / c’est-à-dire a et o » – qui, donc, évoque l’amor latin, espagnol ou des troubadours, mais aussi les prénoms féminins de la première partie du livre, Irma et Nora, qui deviennent une forme unique : « On aura écrit / = Norma / (Irma + Nora) ». La division « a et o » renvoie à la seconde partie du livre où les repères qui charpentent un énoncé, syntaxe et morphologie reconnaissables, ont quasiment disparu.
Le premier poème expose le jeu dans la phrase entre lettres et voix (bruit, cri), chaque ensemble constituant une articulation, mais qui ne se peut comprendre que dans l’égalité des échanges – l’unité –, qui s’oppose à la séparation qui « n’appelle pas / l’unité », où les paroles sont détruites et disparaissent. Reste alors « Un discours tombé dans un vide de langue ». Ce qui s’écoute, par les lèvres, vient des lettres : les paroles sont à la fois dedans et dehors, sur la surface du papier et dans l’air. Tout l’effort consiste à tenter de ne pas être en dehors des choses, sachant que lettres et paroles ne donnent que des noms, « autonomes et contradictoires ».
Dans la seconde partie du livre, l’unité est si difficile à construire que la phrase parfois ne peut se terminer, comme si rien de ce que l’on énonce n’était achevable, et même ne parvient pas à s’inscrire : des lettres, des bribes de mots occupent la page, avec une ponctuation décalée. Impression d’énigme d’où surgit comme d’on ne sait quelles profondeurs des mots qui font sens, écho au mot « amour », au regard qui était cherché :
« vue, vie , aimée » (plus loin : « vue, aimer »)
Mais tout se passe comme si la coïncidence entre ce qui est éprouvé, l’amour, et l’inscription dans les mots et les noms, était impossible, car
« Commen t former son autre nonm son autre nom »
On lit bien que c’est d’abord « non » qui s’écrit, pas le nom qui permettrait le couple, « le nombre juste » pour enfin parvenir à
« aimer commence ave c mains . Langue s et les sexe s
aussitôt. Suiventy
y les yeux [...] »
Langues et sexes ne font pas une rencontre juste, si l’on s’en tient au dernier mot de ce poème, « dent ». Mais on lira dans le poème qui termine le livre « VIE GÉNÉREUSE », qui concilie sujet et objet, et ce malgré un dernier énoncé suspendu.