par Gérard-Georges Lemaire
Jiří Kolář (1914-2002) a été reconnu pour son œuvre plastique, mais aussi pour ses poésies et ses œuvres théâtrales et ses traductions. Il a été l’un des plus célèbres créateurs tchèques de l’après-guerre.
La Lyre noire a été composée dans les années cinquante. Ce sont des poèmes qui, comme le titre l’annonce, traitent de sujets tragiques. Il y est beaucoup question de la guerre, des camps de la mort, le massacre de Libice et celui d’Oradour-sur-Glane, de souvenirs personnels et aussi des empereurs romains ou chinois. L’auteur y a développé une vision sombre, désespérée et effrayante de l’Histoire. Et sa propre histoire a rejoint cette histoire qui broie les hommes sans pitié. Toutefois, ses poèmes ne jouent pas sur le pathos ; ils sont écrits avec une simplicité et une limpidité qui ne font qu’accentuer l’horreur des faits relatés. La pureté de son expression n’accentue pas le trait : mais les événements en ressortent avec plus d’intensité. C’est tout le contraire du caractère ludique de ses collages, de ses rôlages et de ses prosages.
Quant à sa Chronique du corps qui me quitte, rédigée entre 1998 et 2002 (les quatre dernières années de sa vie), elle a quelque chose d’exceptionnel : elle est le journal du déclin d’un homme, qui voit ses facultés mentales faiblir et son corps partir en lambeaux. Il note jour après jour quels sont les signes de cette dégénérescence, comment cela se traduit pour lui. Ce ne sont donc pas les mémoires d’un vieillard mais d’un individu qui marche vers sa mort comme l’Homme qui marche de Giacometti. C’est bouleversant et pourtant encore plein d’esprit, d’ironie, de drôlerie parfois. Pour ceux qui ont aimé Le Témoin oculaire, ce sera sans doute une surprise. Mais ce qu’il a entrepris de faire, c’est d’aller jusqu’aux limites de son humanité, de sa relation avec lui-même comme corps et esprit. Ce livre nous met face à notre réalité comme la mort du carillon de l’hôtel de ville de Prague.