par Sylvain Maestraggi
Trente et un ans nous séparent de la mort d’Alix Cléo Roubaud. Son œuvre photographique appartient à une autre époque. On ne photographie plus comme cela. Elle qui prêtait à Jacques Roubaud son époux quelque chose de « victorien » se trouve aujourd’hui plus proche du XIXe siècle finissant que du nôtre. Son goût pour les chambres et les scènes de la vie conjugale, sa passion pour les spectres, rappellent les mises en scène de la photographie primitive, le spiritisme et la chronophotographie. Déjouer le réalisme de la photographie pour faire apparaître l’âme des choses, telle fut l’ambition d’Alix énoncée dans son Journal – ambition doublée d’une réflexion continue sur le médium. Fascinée par le daguerréotype, elle travaillait à produire des épreuves uniques et n’accordait aucune valeur au négatif. Elle composait ses images dans la chambre noire, à l’aide parfois d’un pinceau lumineux. La photographie numérique a balayé tout cela. L’unique témoignage de son œuvre, mis à part le Journal, publié après sa mort, fut longtemps Les Photos d’Alix, film de son ami Jean Eustache, dans lequel elle commente ses propres images. Eustache se suicida peu de temps après. Peut-être régnait-il sur le Paris d’alors une atmosphère de déchéance, de deuil et de solitude. Atmosphère de vieilles tapisseries, de moquettes et de flanelles (celles d’Alexandre dans La Maman et la Putain) qui ne devait rien arranger à l’asthme d’Alix. De ce romantisme noir, il n’est point question dans l’essai d’Hélène Giannecchini. Chargée d’archiver le fonds de l’artiste, et donc d’en circonscrire l’œuvre, elle y oppose une vigoureuse résistance. Tout en présentant la première étude détaillée de l’œuvre photographique d’Alix Cléo Roubaud, l’historienne fait le récit d’une enquête au cours de laquelle elle dut sans cesse lutter contre sa fascination pour le personnage. Lutte d’autant plus haute que les circonstances qui sont à l’origine de l’essai ont la puissance vertigineuse d’un roman.