Par Claude Chambard
Marcher. Sur la ligne de crête. Marcher au bord de la falaise. Ne pas s’arrêter. Ne pas se retourner. Continuer, sauter dans le vide, se fracasser contre l’obstacle. Marcher, arpenter un territoire. Frôler, risquer, être pris entre la falaise qui monte et la falaise qui descend, au bord, très au bord, dans l’inconfort. Arpenter la frontière sans cesse découverte, inventée, modifiée, complexe. Risquer la marche dans l’orage puisque ce n’est « qu’une perturbation simple du paysage ». Marcher, être l’homme en marche, faire advenir le paysage en soi. Traces, gestes, pensées, toujours différents, imprimés dans les couches les plus profondes de la terre, de l’homme en marche. Parfois on se prend à imaginer que la marche est autonome. Un pas, plus un pas, plus un pas, sans tirer à la ligne pour autant, puisqu’au fond il s’agit du fait même d’écrire, de façonner l’être qui passe « comme la caresse du ciel d’un état de conscience à un autre ». Mais aussi de « quelque chose d’avant l’écriture et qui l’invente ». Il y a une vraie dimension morale – quelque chose d’une mystique même, et de très ancien – dans ce texte de Fabrice Caravaca. Celle d’un homme droit, vertical, qui écrit une prose horizontale les yeux fixés sur un horizon mouvant parce que c’est la marche qui lui « donne sa légitimité », sa verticalité, sa possibilité d’être et d’écrire encore.