Le Corbusier : Poésie sur Alger

 
par Mathilde Azzopardi

En 1950, lorsque paraît pour la première fois Poésie sur Alger, aucune des variantes successives du Plan-Obus proposé par Le Corbusier depuis près de vingt ans n’est, malgré son insistance, parvenue à s’imposer. « La poésie rayonne sur Alger : un plan directeur, – le plan directeur – la manifestera » : énoncé faussement programmatique, donc, qui reflète l’éblouissement de l’architecte face à la beauté de la baie de celle dont certains souhaitent faire la « capitale française d’Afrique » – sensualité de sa courbe, perfection de ses lignes horizontale et verticale, éclat de ses couleurs, pureté de sa lumière. Séduit par cette plastique et fasciné par la Casbah, Le Corbusier, sans qu’aucune commande ne lui soit jamais passée, fait d’Alger une élue sur laquelle projeter sa Ville Radieuse.
Ce « petit » livre, comme le qualifiait lui-même son auteur, ici opportunément reproduit en fac-similé et accompagné de deux postfaces éclairantes, rend compte des préoccupations esthétiques de Le Corbusier : il se charge lui-même de la mise en page de son ouvrage, y adjoint des dessins, ainsi que des coupures de presse témoignant de l’infortune des plans, qu’il rehausse d’aplats bleus transparents, unifiant ainsi visuellement l’ensemble. L’objet est purement démonstratif, le projet proprement utopique – en appelant de ses vœux la poésie sur Alger, l’architecte entend, grâce aux puissances de l’art, « élever les idées ».
Il conviendra d’apprécier le lyrisme politique de cette prose et la beauté formelle de cette monographie singulière, sans toutefois perdre de vue les voies qu’il arriva à Le Corbusier d’emprunter dans cette bataille chimérique que constitua le Projet-Obus dans son ensemble – en l’occurrence, son passage à Vichy en 1938. On ne manquera pas non plus de noter que le rêve fonctionnaliste corbuséen fut définitivement balayé par l’insurrection du 1er novembre 1954, premier acte de la guerre de libération d’un peuple aspirant notamment à s’affranchir des fantasmes destructeurs de la puissance coloniale.




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Parenthèses
« Architectures »
112 p., 19,00 €
couverture