Édith Boissonnas / Jean Dubuffet : La Vie est libre : correspondance et critiques 1945-1980

 
par Daniel Lequette

En 1945, alors qu’il découvre la notion d’art brut et explore les rapports entre aliénation et création artistique avec « une armée de médecins psychiatres », Dubuffet débute une correspondance avec la poétesse et critique d’art suisse Édith Boissonnas que lui a présentée Paulhan (et qui partagera avec ce dernier et avec Michaux les expériences de la mescaline). Ces lettres nous placent de plain-pied dans des échanges qui dureront près de 40 ans et accompagneront la création artistique des deux correspondants. Il s’agit d’abord de l’expression d’une admiration réciproque et d’une réflexion partagée sur ce que doit être l’art qui souvent se fait à l’unisson, mais sur fond d’une divergence assez radicale, car ce qu’Édith Boissonnas, pour qui l’art est forcément conciliation entre création et social, apprécie d’abord dans l’art brut c’est le raffinement plutôt que la sauvagerie et ses commentaires enthousiastes ne sont pas dépourvus d’aspérités pour le peintre en particulier quand elle parle de sa « ruse dérisoire » comme d’« une guirlande au front d’une bête fauve ». L’édition fournit au lecteur toutes les clés nécessaires, avec une excellente préface et des textes d’Édith Boissonnas sur l’art brut écrits dans une belle prose poétique, ainsi que le fameux poème « Usure » qui scelle la relation entre les deux épistoliers et de magnifiques portraits de la poétesse. On pourra apprécier aussi dans cet ouvrage une sorte de roman par lettres entre deux personnalités que beaucoup de choses opposent, mais qui se retrouvent pendant tant d’années malgré les rendez-vous manqués, les appels sans réponse, les expériences-limites, dans leur quête d’authenticité, leur désir d’un art vivant, vivifiant, et l’on sera peut-être surpris par le personnage de Dubuffet, si l’on oublie le contexte historique, par la préciosité stylistique d’un artiste réputé pour sa volonté de spontanéité et par ses représentations, en particulier de l’Algérie, qui ne manquent pas d’un certain conformisme.




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Édition de Muriel Pic avec la collaboration de Simon Miaz
Zoé
208 p., 20,00 €
couverture