Danielle Mémoire : J’ai pas envie de faire ma page

 
Par Pierre Parlant

On doit à Lacan l’expression polémique, dégagée de son usage au XVIIIe siècle et donc autrement suggestive, d’« antiphilosophie ». L’évoquer à propos de l’ouvrage de Danielle Mémoire pourrait sembler impropre. Si l’on considère pourtant que cette notion se rapporte à une opération de pensée se donnant pour ambition une critique du langage, de la catégorie de vérité et qui se veut simultanément capable de dépayser l’acte pensif en l’expérimentant sans se soumettre à l’exigence discursive, alors rien n’interdit d’envisager cette écriture comme une tentative de cet ordre. Ce serait d’autant plus légitime que c’est une pensée en acte qu’elle ne cesse d’exposer de livre en livre en usant, non sans malice, des moyens de la fiction dont les lecteurs ont appris à reconnaître avec bonheur et perplexité parfois les conditions, situations et personnages récurrents. J’ai pas envie de faire ma page, écrit lors d’une résidence à Tanger en 2012, est à cet égard un échantillon saisissant de cette expérience dont à ce jour dix-huit ouvrages témoignent, chacun à leur façon, conspirante toujours puisque c’est l’admission à l’existence d’un monde – au vrai, un contre-monde – qui est en jeu. Cette fois, c’est proprement la dramaturgie d’une pensée – alerte, inquiète, joueuse – que le lecteur est invité à suivre. Découpé classiquement, faisant valoir et rusant avec les canons de ce type d’écriture, le texte met en scène – mentale, il va sans dire – le procès in situ d’une écriture qui réclame autant qu’elle résiste et qui, pour ce faire, doit néanmoins satisfaire à l’exigence de circonstances et de personnages dont l’insistance est telle qu’elle met l’auteur souvent dans un certain embarras. Cela ne l’empêche pas de chanter à tue-tête jusqu’à confier l’essentiel : « Ni cette page ni les autres je n’avais envie de les faire. Je ne pouvais pas les faire. Les écrire, je savais que je ne le pourrais pas ». Pour acquérir sa consistance, celle d’une conviction aussi nécessaire que la pensée s’avère rétive, cet énoncé supposait cependant d’être écrit.




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‘ ‘ ‘ Le Refuge en
Méditerranée ’ ’ ’

44 p., 14,00 €

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